« Avoir un toit, être au calme, rompre la solitude » : à 60 ans, Isabelle se souvient très bien du triptyque qui l'a conduite à emménager dans une pension de famille, un dispositif méconnu sur lequel mise le gouvernement face à la hausse de la précarité.

« J'ai eu une dépression sévère, j'étais dans l'impossibilité de travailler et mon loyer était onéreux », raconte cette habitante de la pension Rivages, située dans le 17e arrondissement de Paris et gérée par les Petits frères des pauvres. « L'assistante sociale m'a proposé la pension de famille et j'ai accepté. Ça me permet d'avoir un toit sûr, au calme, rompre ma solitude en partageant des bons moments », souligne-t-elle.

Nées à la fin des années 1990, les pensions de famille permettent à des personnes vulnérables ou en situation de précarité d'avoir accès à un logement privatif mais également à des activités et des espaces communs. Contrairement aux centres d'hébergement d'urgence, les habitants qui y vivent - ils ont tous plus de 50 ans - s'inscrivent dans le temps long. A l'heure actuelle, près de 24 000 personnes sont logées dans ce type de structures.

A la pension Rivages du 17e, où vivent 24 personnes - 7 femmes et 17 hommes âgés de 52 à 78 ans - le loyer est compris entre 480 et 580 euros pour un studio. Un accompagnement social et santé est également pourvu. Parmi les habitants, des personnes ayant vécu à la rue, des personnes à la retraite, des bénéficiaires de l'AAH (allocation adultes handicapés) ou du RSA (revenu de solidarité active) et des personnes travaillant encore.

« Ici, ils savent qu'ils ne sont pas seuls, ils sont entourés », souligne Yvonne Suisse-Berthier, responsable de la structure. « C'est une vraie plus-value pour ceux qui sont malades ».

« Je respire »

« Une des personnes a un cancer assez grave. Avant elle habitait à droite à gauche, c'était assez compliqué pour elle de suivre sa chimiothérapie », raconte-t-elle. « Une fois arrivée ici, elle a dit : ça y est, je respire. Je sais que j'ai un endroit à moi, je peux me reposer ».

George aussi respire. A 64 ans, ce Colombien, qui a longtemps travaillé dans le bâtiment, a déposé ses affaires dans la pension après plus de deux ans d'errance entre différents centres d'hébergement temporaires. Il confie qu'il se voit bien « finir sa vie ici ».

Pour la nouvelle ministre chargée du Logement Valérie Létard, la pension de famille est un « modèle qui a fait ses preuves » et qui s'est révélé être un « véritable outil de lutte contre l'exclusion en proposant aux résidents un lieu où se reconstruire ».

Dans son plan « Logement d'abord » 2018-2022, l'exécutif avait fixé comme objectif la création de 10.000 nouvelles places sur 5 ans sur tout le territoire. Un objectif de 10.000 places supplémentaires a été fixé pour le second plan « d'ici 2027 ».

« La cible n'a pas été totalement atteinte », reconnaît Valérie Létard qui évoque les « 7 210 places créées au titre du premier plan ». « Mais il s'agit tout de même d'une augmentation de 48% du parc existant à fin 2016. » Sur le terrain, les associations disent se heurter encore à la méconnaissance de certains élus locaux qui freinent les procédures d'agrément - des freins documentés en 2023 par la direction interministérielle de la transformation publique.

Dans un rapport, celle-ci avait fait état de plus d'un élu sur deux disant ne pas connaître le dispositif. Etaient également pointés « un manque de motivation à ouvrir des places, lié notamment à certains a priori et perceptions » ainsi que des « difficultés pratiques », notamment financières, dans la création de nouvelles structures.

Selon la Fondation Abbé Pierre, quelque 330 000 personnes sont sans domicile fixe en France et quelque 21.500 ménages ont été expulsés de leur logement en 2023, un chiffre en hausse de 23% sur un an.