Pour remédier à un préjudice estimé à 13 milliards d'euros, Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, a présenté ce week-end dans Le Parisien les grands axes d'un projet de loi prévu à l'automne. Mais les priorités font tiquer les connaisseurs du dossier.

Catherine Vautrin veut ainsi « faciliter le contrôle des allocataires de prestations sociales » et « améliorer les capacités de recouvrement sur les allocations chômage ». En cas de « fraude avérée », il serait possible de recouvrer « l'intégralité des sommes indûment perçues ». Et « si cela ne suffit pas », débiter « le compte bancaire du fraudeur ».

« Sauf que, quand on regarde dans le détail, sur ces 13 milliards, la moitié relève de la fraude liée aux cotisations sociales, ce qui supposerait d'aller voir du côté des employeurs », commente pour l'AFP Nicolas Da Silva, économiste des politiques de santé.

Même rappel du côté de Frédéric Bizard, autre économiste : « À peu près 1 euro sur 2, c'est une fraude à la cotisation, c'est-à-dire du travail non déclaré, du travail au noir et le reste, c'est de la fraude aux prestations », décrit à l'AFP ce spécialiste des questions de protection sociale et de santé.

« L'essentiel de la fraude, c'est la fraude des professionnels »

Le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), à l'origine de cette évaluation de 13 milliards d'euros, jauge, d'ailleurs, que « la fraude imputable aux assurés sociaux est de l'ordre d'un tiers ». Selon son rapport, la fraude émane pour 56% des entreprises et travailleurs indépendants, pour 34% des assurés et pour 10% des professionnels de santé. Le Haut conseil bat en brèche l'idée d'une « fraude sociale souvent réduite à la fraude au RSA ou à la fraude à la résidence, ce qui tend à nourrir un discours anti-pauvres ».

Or, la réponse face aux entreprises qui pratiquent le travail dissimulé n'est abordée par Catherine Vautrin qu'en une seule phrase : « Bloquer leurs comptes bancaires pendant la période de contrôle pour éviter qu'elles organisent leur insolvabilité ». « L'essentiel de la fraude, c'est la fraude des professionnels, on s'attendrait à ce que ce soit évoqué un peu plus », renchérit Nicolas Da Silva. Le Haut conseil note, en outre, qu'en matière de « taux de cotisations éludées, le risque le plus important porte sur les micro-entrepreneurs ».

Les experts s'interrogent aussi sur la lumière jetée par Catherine Vautrin sur les transporteurs sanitaires qui devraient « se doter d'un dispositif de géolocalisation et d'un système électronique de facturation intégrée, afin de garantir l'exactitude des kilomètres facturés ».

« Politique populiste »

Ce secteur se retrouve désigné comme terreau d'une « fraude abondante » remarque Nicolas Da Silva, dans le sillage de rapports constatant que « le transport sanitaire augmente ».

Le nombre de patients « transportés a, en effet, crû de 14% entre 2016 et 2023, dont 25% pour les seuls taxis », selon l'Assurance maladie. « Mais il y a une logique à ce que le transport sanitaire augmente, tout simplement parce qu'il y a une concentration des lieux de soins, avec des fermetures de sites : quand vous avez moins de sites, ça éloigne les gens des soins, et donc il faut les déplacer un peu plus loin », rebondit Nicolas Da Silva.

Dominique Buisson, responsable de la Fédération nationale du taxi (FNDT), déplore auprès de l'AFP « un effet de communication » de Catherine Vautrin, qui « stigmatise une profession en faisant des potentiels fraudeurs ». Et de rappeler que l'Assurance maladie a déjà demandé la généralisation de logiciels de facturation reliés à des dispositifs de géolocalisation, qui devront être installés d'ici le 1er janvier 2027. Sur 60 000 chauffeurs de taxi en France, « à peu près 35 000 font des transports conventionnés », éclaire-t-il encore.

Pour Frédéric Bizard, les annonces de Catherine Vautrin s'inscrivent avant tout dans une « stratégie politique populiste » : « Comment s'opposer à un projet de loi qui lutte contre la fraude ? ».