« Quand le marché évolue, pour obtenir du rendement, il faut un côté défricheur. » Comme l'annonce Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l'Épargne, think tank dédié aux sujets financiers, on assiste peut-être à un retournement de tendance.

Avec la baisse des taux d'intérêt, les performances des obligations, au sommet depuis deux ans, s'amenuisent. Leur temps est-il révolu ? L'économiste temporise. « Tout le monde dit que ce n'est peut-être plus le bon moment. Mais les fonds obligataires ont investi l'an passé dans des actifs rémunérateurs. »

« Il y aura encore de bonnes affaires sur obligataire, si l'on est malin »

L'avantage est double : le stock acquis depuis 18 mois livrera pendant plusieurs années des coupons intéressants. Dans le même temps, plus les taux vont baisser, plus la valeur des obligations généreuses va augmenter. Et par ricochet, la valorisation des parts des fonds. « Il y aura donc encore de bonnes affaires, si l'on est malin », glisse un conseiller de la place.

À moyen terme, ce changement de paradigme oblige déjà à envisager de nouvelles stratégies. Notamment pour les profils dynamiques, qui veulent dépasser le mix « secure » livrets-fonds euros, le réflexe classique serait de se tourner vers la pierre. Mais le marché n'en a pas terminé avec les secousses, les économistes rappelant qu'une crise immobilière « s'étale plus dans le temps ».

Les SCPI constituent probablement une exception. « Il est peut-être temps d'y revenir, suggère Philippe Crevel. En restant vigilant, car certains portefeuilles sont plombés. » On privilégiera les véhicules « diversifiés », visiblement mieux armés pour le long terme. Malgré des situations contrastées, les meilleures SCPI pourraient livrer à long terme autour de 5,5%.

SCPI : qui fuir, qui acheter ?

L'autre tactique « traditionnelle », c'est alors de s'intéresser aux actions en bourse. Elles retrouvent habituellement des couleurs quand les obligations perdent du terrain. Toutefois, l'effet balancier ne semble pas si évident (voir encadré).

Pour les investisseurs « agressifs », attendant plus de leur argent, ce ne sera pas suffisant ! S'ils acceptent de prendre plus de risques, ils peuvent regarder du côté des actifs « alternatifs ». Plus techniques et complexes à appréhender, ils sont néanmoins calibrés, quand leur modèle fonctionne, pour offrir des performances dépassant 7, 8 voire 10% !

Produits structurés en actions : pour surfer sur les marchés

Ces dernières années, les produits structurés en actions se démocratisent, intégrant les offres en unités de compte des assurances vie.

Leur principe est simple : ce sont des paris à la hausse. Un point d'entrée est déterminé, calqué sur un ou plusieurs indices de marchés : valeurs mondiales, industries européennes... Chaque trimestre ou année, selon le produit, le « sous-jacent » est ensuite comparé au point de départ. En règle générale, s'il y a une hausse, le produit est « débouclé ». Le capital est alors rendu accompagné d'un coupon déterminé à la signature.

Dans le cas contraire, le produit poursuit sa route, jusqu'à une date d'échéance, de 2 à 10 ans. À son terme, un constat final s'opère. Si l'indice dépasse sa référence, c'est le jackpot : le capital est livré avec X années de coupons ! À l'inverse, on va, selon les contrats et l'importance de la baisse, récupérer tout ou partie de sa mise. Bref, mieux vaut bien réfléchir avant de se lancer ! « Ces produits doivent être bien compris, note Yves Conan, directeur général du courtier en ligne Linxea. Il faut prendre le temps de lire les brochures ! »

Avec ou sans garantie du capital ?

Deux gammes « cousines » coexistent : les structurés garantis ou non en capital. La version « garantie » a de quoi séduire : on couvre son pari ! Les offres pullulent, proposant des coupons allant de 5 à 8%. « Sur ces produits à capital garanti, sauf faillite de la banque émettrice, on retrouve sa mise d'origine, confirme Yves Conan. Et si cela se passe bien, on obtiendra en plus un rendement attractif. »

Évidemment, les structurés « sans garantie » offrent des gains potentiels plus séduisants : jusqu'à 9 voire 10%. Car on peut aussi ne rien gagner, voire perdre une part de son placement. Yves Conan apprécie ces fonds, car le « couple rendement-risque est bien encadré et défini contractuellement ». Depuis 10 ans, beaucoup de structurés ont ainsi réussi leur débouclage.

Assurance vie : 3 critères à bien comprendre avant d'acheter un produit structuré

Des produits magiques ? Philippe Crevel ne nie pas qu'ils aient de quoi « allécher les épargnants ». Notamment les versions garanties. Pour compléter le fonds euros, il voit « du sens » à en ajouter des parts dans son assurance vie. Mais en prenant conscience de la réalité du modèle. « Ce type de produits se base sur des probabilités. Le gestionnaire fait le pari que ce qu'il offrira sera moins important que ce qu'il va gagner ! »

Traduction : l'objectif est que le coupon livré soit inférieur à ce que l'épargnant aurait obtenu en misant lui-même sur les marchés ! Pour les structurés non garantis, l'économiste est plus dubitatif : « On a quand même vécu deux crises depuis 2020. Avec les tensions internationales, nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle chute. » C'est pour cela qu'Yves Conan propose de se montrer « tactique ». « Plutôt que de tout investir sur un seul produit, il peut être malin de miser sur trois ou quatre structurés. Il y aura plus de chances que certains se débouclent rapidement. » Ce qui offrira alors l'occasion d'y retourner...

Club deals : l'immobilier premium

Produits de niche, les clubs deals immobiliers sont réservés à un public très averti, et souvent aisé. À la différence des SCPI, produits de pierre papier mutualisés, les « Deals » proposent d'acheter une « petite part » d'une opération immobilière en direct. « Ce sont des actifs exclusifs, confidentiels, plus haut de gamme », précise Yves Conan. Il n'est pas rare que le ticket d'entrée se chiffre en dizaines, voire centaines de milliers d'euros. Portés par des sociétés de gestions ou des acteurs de la pierre, ils se divisent en deux catégories : rendement et plus-value.

« Choisir des signatures de renom, comme les groupes bancaires »

Pour les club deals de rendement, l'idée est de miser sur un immeuble, souvent déjà loué, et d'en tirer un coupon. La version « plus-value » s'intéresse plutôt aux projets de construction ou aux biens à rénover, avec un objectif de revente rapide.

« L'espérance de gain est plus forte qu'un véhicule mutualisé », spécifie le DG de Linxea. Quand tout va bien, la performance peut atteindre 10 à 13%. Mais il ne nie pas le risque que l'opération déraille. « On va acheter un immeuble comme si on achetait une action. Il faut donc regarder la réalité du bien, du projet. Car on trouve un peu de tout. » Le dirigeant de Linxea invite notamment à mesurer le niveau de garantie, le potentiel du bâti...

Ce placement, très technique et confidentiel, rend Philippe Crevel « un peu méfiant ». « Les rendements affichés sont alléchants. Mais à la différence des SCPI, qui offrent une relative transparence, ici, on ne connaît pas toujours les tenants et aboutissants. » Il mentionne des opérations de constructions annulées en cours de route : dans ce cas, l'argent sera perdu ! À ses yeux, l'un des garde-fous sera donc de choisir « des signatures de renom, comme les groupes bancaires ».

Private equity : parier sur les grosses PME

Également nommés « fonds non cotés », les fonds de private equity permettent d'investir dans des PME et ETI (entreprises de plus de 250 salariés). Dédiés au public institutionnel, ils tendent à s'ouvrir au public. Pour les épargnants les plus aisés, des gestionnaires spécialisés (comme Ardian ou IK Partners) proposent des opérations accessibles à partir de 100 000 euros. Prélevés progressivement, ces fonds sont placés dans des entreprises souvent valorisées en centaines de millions d'euros. « On est bien loin des start-ups », sourit Yves Conan !

Le principe est difficile à saisir : le capital, bloqué les premières années, va générer du rendement à mesure que les PME sont revendues, au bout de 5, 6, 8 ans... En contrepartie de l'absence de liquidité, les gestionnaires annoncent une performance potentielle incroyable : 13 à 15% par an, ou même un doublement de son investissement en 8 ans !

Comment cela fonctionne ? Chaque gestionnaire a sa méthode ! « Il y a de nombreuses stratégies, selon les pays, les thématiques », explicite Yves Conan. « La réussite dépendra notamment du nom du gestionnaire, du timing... Cela va vraiment dans le détail. » Il faudra donc « faire confiance », presque les yeux fermés, aux cabinets majeurs. « Avec les acteurs très sérieux, les catastrophes sont rares. »

À côté de ces produits premium, des véhicules labellisés « private equity » sont apparus sur le marché grand public, dont certains sont accessibles en assurance vie. Mais attention : c'est une vraie jungle ! Sous couvert d'un terme à la mode, tous les gestionnaires ne parient pas sur des entreprises solides. Yves Conan le certifie néanmoins : il existe des fonds de qualité, avec un certain historique, comme par exemple « EPVE3 d'Eurazeo ». « Les très bons pourront livrer de 7 à 9% par an », relève-t-il.

« Le private equity peut constituer un bon actif de diversification »

L'offre est si étendue que l'on trouve désormais un marché « secondaire » ! « Avec la baisse de l'immobilier, des institutionnels sont obligés de se séparer de private equity, pour respecter la stratégie d'allocation de leurs fonds », signale Yves Conan. Via des cabinets spécialisés, on peut accéder à ces parts, incluant une décote de 10 à 20%. Sur le papier, ces offres sont réservées à des professionnels de la finance. Mais quelques fonds émergent pour les proposer à tous. Ainsi, Oddo lance un Fonds Commun de Placement à Risque (FCPR) « Private Equity secondaire » : « Oddo BHF Global Private Equity ». Bientôt disponible en assurance vie, il visera 8 à 9% de rentabilité annuelle.

On aurait presque l'impression d'avoir trouvé la panacée... Philippe Crevel trouve d'ailleurs que le private equity peut constituer un « bon actif de diversification ». Mais l'économiste appelle, une nouvelle fois, à ne pas négliger les risques. « Que se passera-t-il si l'une des PME tombe ? » Il se montre d'autant plus mesuré sur les offres « secondaires ». « Le problème, c'est qu'on ne connaît pas forcément le contenu des portefeuilles. On ne peut éviter le risque d'investir sans le savoir sur des entreprises mal gérées. » Mieux vaut donc bien y réfléchir... Et se faire conseiller !

« Ce n'est pas parce qu'on a reçu une somme exceptionnelle qu'il faut tout miser d'un coup. Sinon, le risque est de se planter... »

Pourquoi il ne faut jamais se précipiter

Dans tous ces cas, nos deux experts martèlent une évidence : il est urgent d'attendre ! Lorsqu'on reçoit une somme imprévue, il peut être tentant de la placer au plus vite, pour ne pas manquer une belle opportunité.

Chez Linxea, on rappelle systématiquement les clients qui procèdent à de grosses opérations. « On leur propose de voir comment adapter au mieux les choses », indique Yves Conan. Son conseil : avoir « un peu de méthode ». Commencer par placer son argent en fonds euros sur une assurance vie, puis arbitrer vers des produits intéressants. « Ce n'est pas parce qu'on a reçu une somme exceptionnelle qu'il faut tout miser d'un coup. Sinon, le risque est de se planter, et de perdre beaucoup... »

Philippe Crevel préconise également la mise en place de versements programmés. « Cela permet de lisser les effets de marché, d'éviter de tout placer à un point trop haut. » Il encourage également à sélectionner plusieurs classes d'actifs, afin de mutualiser ses risques. « Il faut le rappeler : le meilleur investissement, c'est celui qui est diversifié ! » Car s'« il n'y a pas de solution miracle », que l'on soit « classique » ou « défricheur », la règle de base reste la même : on ne met pas tous ses œufs dans le même panier !

Et les actions ?

Le grand principe de la finance, c'est que lorsque les obligations baissent, il faut regarder vers les actions. Mais une fois n'est pas coutume, ce n'est peut-être pas une évidence en ce moment. Philippe Crevel enjoint à la « vigilance », car « le marché actions n'a pas beaucoup baissé » pendant la période de hausse des taux.

« Nous sommes encore dans un cycle haut. Il faut donc être extrêmement sélectif. » Il prend l'exemple des États-Unis. La cotation des entreprises technologiques atteint ainsi « des sommets. Dans leur cas, mieux vaut patienter un peu. » Nous ne sommes en effet pas à l'abri d'une dégringolade. Pour les autres valeurs américaines, même si « les cours sont élevés », il estime qu'« il reste du potentiel ».

Et dans le reste du monde ? Il propose de se pencher sur le « marché Asie », moins en vogue ces dernières années, mais qui « semble en train de rebondir ». Par contre, il souligne l'incertitude des bourses européennes. « On doit faire attention aux effets de mode. On arrive souvent trop tard ! Il y a plutôt intérêt à jouer à contre-courant. Aller chercher des actions délaissées avec un potentiel de rebond, plutôt que des têtes de gondole. »

Autant éviter d'acheter au plus haut les stars du Cac 40... Par contre, le DG de Linxea Yves Conan suggère de profiter de leurs inévitables trous d'air. « On pourra se positionner sur quelques titres vifs un peu décotés. Se créer un petit portefeuille long terme, avec des coups de cœur ou de grands acteurs, du type Total, LVMH... »

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