
Discuter d'argent quand on est en couple, un sujet tabou ? Une chose est sûre, nombreux sont les partenaires à éviter ces sujets, pourtant capitaux. Alors, quelles sont les bonnes pratiques pour gérer au mieux ses finances dans son couple ? MoneyVox a posé la question à la spécialiste Héloïse Bolle, fondatrice d'Oseille&compagnie et autrice du livre Les bons comptes font les bons amants, publié en 2019 aux éditions du Cherche Midi.
1 - Discuter sans tabou
Ce n'est une surprise pour personne : la communication est l'un des outils les plus importants dans le couple. Pourtant, au moment de parler d'argent, nombreux sont les partenaires qui se crispent, voire qui décident purement et simplement de ne pas aborder le sujet. Selon Héloïse Bolle, mieux vaut en parler, et le plus tôt possible : « Idéalement, c'est beaucoup plus facile d'amener le sujet dès le début d'une relation que d'essayer de le débloquer vingt ans après », assure la spécialiste. Les sujets à aborder sont multiples. Il faut ainsi penser à la protection en cas de séparation ou de décès, mais aussi à la gestion quotidienne et aux objectifs à long terme.
Comment faire, alors, pour aborder la discussion ? « Il faut en parler sans naïveté. C'est un sujet trop sérieux pour être pris avec désinvolture ou avec une certaine pudeur excessive, estime Héloïse Bolle. On ne paye pas son loyer avec des bons sentiments, on ne règle pas ses factures avec des bons sentiments, et on ne prépare pas sa retraite ou sa sécurité financière avec des bons sentiments. Donc, il faut en parler posément, sereinement, mais sans tabou. » Refuser en permanence les discussions peut être le signe d'une envie de ne pas faire avancer les choses. « Quelqu'un qui refuse de parler d'argent dans un couple est quelqu'un qui n'a pas intérêt à en parler car l'organisation actuelle lui convient, probablement car elle lui est favorable », estime la fondatrice d'Oseille&compagnie.
De plus, ne pas parler d'argent et refuser d'aborder ces sujets s'apparente à une forme de violence économique. « Cela signifie que l'autre subit un manque de transparence, une absence d'organisation ou une organisation mise en place sans réflexion préalable, note Héloïse Bolle. C'est une situation dangereuse et injuste pour la personne qui la subit. »
Autre point important : le sujet de l'argent et des finances ne doit pas être délégué. « Laisser l'autre gérer sous prétexte que l'on n'y connait rien, c'est très dangereux, affirme Héloïse Bolle. Si vous restez éloigné de ce sujet, vous ne saurez pas ce qui se passe dans les finances de votre couple et cela peut être un danger le jour où vous devez vous y remettre, que ce soit à cause d'un décès ou d'une séparation. »
2 - Se préoccuper de ses finances et de celles de l'autre
« Il faut que les deux aient une sécurité financière et que cette sécurité préoccupe les deux partenaires. Dans un couple, on doit se soucier du bien-être de l'autre, et cela inclut sa sécurité financière, pose Héloïse Bolle. Cet élément doit exister à la fois dans le couple et en dehors. Une personne qui n'a pas de sécurité financière en dehors du couple risque de rester pour des raisons financières. Il est donc essentiel de répartir les ressources équitablement afin que personne ne se retrouve démuni en cas de séparation. Cela garantit que si l'on reste ensemble, ce n'est pas pour des raisons financières, mais par choix. Voilà pourquoi il est crucial d'en parler et de prévoir. »
La question se pose en cas d'écart important dans les revenus, mais également si l'un des partenaires dispose d'un patrimoine beaucoup plus important que l'autre. « Il est difficile dans un couple de rattraper les écarts de patrimoine, juge Héloïse Bolle. Néanmoins, si un partenaire entre dans un mariage ou un PACS en étant déjà propriétaire d'un bien immobiier par exemple, le couple peut trouver une organisation pour que l'autre puisse faire un investissement immobilier à son nom. La personne déjà propriétaire peut par exemple se dire, si c'est possible, qu'il prendra un peu plus de dépenses en charge pendant un temps pour permettre à l'autre d'épargner et ainsi chercher à rééquilibrer le patrimoine. »
3 - Fixer un budget et de bonnes habitudes
Gérer son argent en couple débute par une bonne gestion du quotidien. Il est donc essentiel de s'accorder sur un niveau de dépenses adapté aux revenus du couple, afin d'éviter les situations financières difficiles en cas d'imprévu, comme une perte de revenus. Les sujets impactant les finances du ménage sont nombreux : l'éducation des enfants, le mode de garde, les vacances mais également les dépenses courantes, comme les courses ou les différentes factures, sont autant de facteurs qui influencent la capacité du couple à épargner et à assurer sa stabilité économique à long terme.
Vient ensuite la question de la répartition des dépenses. « La répartition 50/50 n'est pas équitable quand on ne gagne pas la même chose, martèle Héloïse Bolle. Quand vous avez deux salaires inégaux et à peu près le même type de patrimoine ou pas de patrimoine, le plus équitable est de participer au prorata de ses revenus. » Les loyers perçus dans le cadre d'un précédent investissement locatif ou encore les dividendes touchés sur un portefeuille d'actions sont également des paramètres à prendre en compte au moment des discussions quant à la contribution financière de chacun.
Au sujet des dépenses, Héloïse Bolle conseille que les deux partenaires participent aussi bien aux grosses qu'aux petites dépenses. « Dans certains couples, on voit encore des gens qui disent : « Moi, je paie les grosses dépenses et elle paie les dépenses courantes. » Je trouve cela très préoccupant. Que l'un ne connaisse pas l'état des investissements et des dettes du couple, et que l'autre ne connaisse pas le prix d'un anorak ou d'une boîte de carottes, c'est un vrai problème. C'est important d'avoir une vision d'ensemble des dépenses : combien coûte le crédit, les factures, un panier de courses, les activités... Tout cela relève aussi de la charge mentale, et c'est important de la partager. Il y a un aspect financier, mais aussi un aspect psychologique qui est très important. »
Pour s'y retrouver, la fondatrice d'Oseille&Compagnie conseille d'ouvrir un, ou plusieurs comptes-joint, à savoir un compte dédié aux dépenses courantes et un autre dédié, le cas échéant, au remboursement du crédit immobilier : « L'idée, c'est qu'il y ait une traçabilité des grosses dépenses. Même si on ne fait pas complètement les comptes sur tout, je pense que c'est bien d'avoir des indicateurs clairs et de pouvoir voir les chiffres facilement. »
Ce qui ne signifie pas forcément délaisser son compte personnel au profit du compte-joint. « C'est bien, quand on gagne de l'argent, de l'avoir sur un compte à soi et ensuite de manière réfléchie de voir combien on met sur le compte-joint », confirme Héloïse Bolle. D'autant que garder une indépendance financière permet aussi d'éviter d'éventuelles violences économiques.
4 - Attention aux impôts
Parler d'argent dans son couple ne se cantonne pas aux courses et à l'ouverture ou non d'un compte-joint. Une fois par an, la déclaration d'impôt peut également s'avérer piégeuse. « Comprendre ses impôts quand on fait une déclaration commune est essentiel », prévient la spécialiste. D'autant plus dans le cadre d'une inégalité de revenus ou de patrimoine. Imaginons que l'un des partenaires dispose de loyers tirés d'un appartement en location. Si ce dernier n'a pas versé d'acomptes sur ces revenus, les impôts peuvent, au moment de la déclaration, imposer les deux membres du couple. Une inégalité flagrante pour celui ne bénéficiant pas de ces revenus et se retrouvant à payer des impôts pour l'autre. « Si vous partagez ces revenus, il peut être entendable de les payer en commun. Mais en cas de non-partage, c'est parfaitement injuste de payer à deux », fait valoir Héloïse Bolle.
Il en va de même en cas de disparité au niveau des salaires. En effet, depuis 2019 et l'application du prélèvement à la source sur vos salaires, pensions de retraite, allocations ou revenus fonciers, si vous êtes en couple, c'est un seul et même taux (le « taux personnalisé ») qui s'applique aux deux adultes du foyer fiscal. Prenons un exemple. Justine gagne 2 000 euros nets par mois, et Mickaël 3 000 euros. Sans enfant, ce couple marié a payé 3 569 euros d'impôt sur le revenu en 2023. La majeure partie de cet impôt est prélevé à la source, sur leurs salaires, au taux de 5,9%. Soit 118 euros ponctionnés chaque mois sur le salaire de Justine (donc 1 882 euros de salaire net après impôt à la source). Et 178 euros sur la fiche de paie de Mickaël (2 822 euros nets après impôt). Ces 5,9% de prélèvement à la source est leur « taux foyer », le taux personnalisé appliqué par défaut. Pourtant, ce couple aurait tout intérêt, pour des raisons d'équité, à choisir un taux individualisé. Pour ce même couple, le simulateur officiel de la DGFiP annonce un taux individualisé de 7,4% pour Mickaël, ce qui porterait la ponction mensuelle à 222 euros (donc 2 778 euros de salaire net après impôt à la source), et un taux individualisé de 3,7% pour Justine, soit 74 euros prélevés à la source sur son bulletin de paie (donc 1 926 euros de salaire net après impôt).
Mieux vaut donc être extrêmement vigilant sur ces sujets. Bonne nouvelle cependant : à partir de septembre 2025, la DGFiP va opérer d'office un basculement pour 20 millions de couples soumis à l'imposition commune, en prenant désormais en compte le taux de prélèvement individualisé.
5 - Penser au travail non rémunéré
Dernier point essentiel soulevé par Héloïse Bolle : la répartition du travail non rémunéré, très souvent au détriment des femmes. Car non seulement ce dernier peut être un frein dans une carrière, mais il induit aussi d'importantes inégalités financières. Prenons l'exemple d'une mère qui prendrait son mercredi pour s'occuper des enfants, alors que le père continue de mener à bien sa carrière. Le manque à gagner représente alors 1/5e des revenus mais aussi 1/5e des cotisations sociales versées par l'employeur. « Schématiquement, si une personne gagne 2000 euros par mois net, si elle renonce à 1/5 de son salaire, elle renonce à 400 euros par mois net mais également à 400 euros par mois de cotisation, ce qui porte le total à 800 euros », décrit Héloïse Bolle. Ce manque à gagner doit donc être connu des deux partis, mais également chiffré, afin de partager sa charge, voire de la compenser.« Ces situations, auxquelles on ne pense pas forcément, peuvent avoir des incidences financières très lourdes », pointe Héloïse Bolle.
6 - Permettre aux deux partenaires d'épargner
Une fois tous ces sujets discutés, reste la question de l'épargne. Car la capacité de chacun des membres du couple à mettre de l'argent de côté découle des choix précédemment fixés. Le but doit alors de permettre à chacun d'épargner afin que chacun puisse se constituer un pécule et faire des investissements, seul ou à deux, en fonction de ses possibilités mais également de son régime matrimonial. « Il faut que l'organisation des investissements soient extrêmement précises, conclut Héloïse Bolle. Le plus important, c'est que chacun puisse avoir et faire grossir ses propres poches d'épargne. Donc pour ça, il faut pouvoir mettre chacun de l'argent de côté. »