En passant du papier à l'écran de votre mobile, les relevés de compte bancaire n'ont pas vraiment gagné en clarté. En cause, des libellés d'opérations qui restent parfois compliqués à déchiffrer. Ce n'est pourtant pas une fatalité, mais les banques montrent peu d'empressement à l'idée de faire mieux.

Faites le test : ouvrez l'application ou le site de votre banque, faites défiler l'historique de votre compte courant et tentez de retrouver l'achat correspondant à chaque opération listée, sur la base de son libellé. Il y a de grandes chances que certaines d'entre elles restent énigmatiques : nom de commerçant inconnu, date incohérente, lieu improbable... Peut-être même vous poserez-vous la question de savoir si vous n'êtes pas victime d'une erreur ou pire, d'une arnaque.

Des flux monétiques trop imprécis

Pour comprendre cette difficulté, il faut s'attarder sur la manière dont les banques construisent les libellés des opérations. Chaque paiement, par carte mais pas seulement, donne lieu à ce que l'on appelle une compensation entre, d'un côté, le compte du commerçant qui encaisse le montant de l'achat et, de l'autre, celui du client qui le paye.

Pour réussir cette opération - en clair, s'assurer que la somme versée d'un côté est bien retirée de l'autre - les banques utilisent ce que l'on appelle des « flux monétiques de compensation ». Ils contiennent des données permettant, d'une part, de vous identifier en tant que payeur, de l'autre, d'identifier le commerçant à payer.

C'est à partir des données incluses dans ces flux que les banques construisent les libellés des opérations listées dans votre relevé. Elles sont, en général, au nombre de trois : le montant de la transaction, sa date et l'identité du marchand qui a accepté le paiement. Problème : ce n'est pas toujours suffisant pour décrire correctement la transaction.

Le souci se situe généralement au niveau de l'identité du marchand. Il peut, en effet, y avoir une différence entre l'enseigne public d'un commerce et le nom de la société qui le gère. Exemple : vous faites parfois vos courses d'appoint à la « Supérette du coin de la rue ». Son terminal de paiement (TPE) est enregistré, non pas à ce nom, mais à celui de la société qui la gère, la SARL Dupont. Or c'est ce dernier nom qui peut apparaître sur votre relevé s'il est utilisé dans le contrat signé par le commerçant avec son prestataire de services de paiement.

« L'exploitabilité des données de paiement utilisées pour identifier les commerçants dépend principalement de la qualité de la saisie de ces contrats monétiques », confirme Benoit Gruet, CEO de CDLK Services, fintech française spécialisée dans l'enrichissement des données de paiement. « Certes, l'établissement de ces contrats est encadré par des règles, mais elles ne sont manifestement pas toujours strictement respectées. »

« Ce n'est pas un sujet prioritaire »

Afficher des libellés illisibles dans les relevés de compte n'est pourtant pas une fatalité. Les banques, en effet, ont la possibilité de faire mieux. « Permettre au client de reconnaître la transaction devrait être le b.a.-ba. A minima, les banques devraient être capables de présenter un libellé explicite, une géolocalisation, voire un logo pour les grandes enseignes », estime Benoit Gruet.

Or, c'est encore loin d'être le cas. Seules quelques banques nativement numériques (Revolut, N26) et quelques applications de paiement (Nickel, Sumeria) font un réel effort en la matière. Les autres ? En passant du papier au numérique, elles n'ont quasiment rien changé dans leur manière de présenter les opérations.

Des solutions existent bien, à l'image de celle vendue par CDLK Services, conçue pour reformater, normaliser et enrichir les données brutes tirées des flux monétiques, afin d'en améliorer la présentation. Mais elles ne rencontrent qu'un « intérêt relatif de la part des banques. Ce n'est toujours pas un sujet prioritaire », déplore Benoit Gruet.

A l'ordre du jour de la prochaine directive sur les services de paiement

La future révision de la directive sur les services de paiement (DSP3), adoptée par la Commission européenne en juin 2023, intègre la question des libellés d'opérations aux sujets à l'ordre du jour. Elle prévoit en effet de contraindre les prestataires de services de paiement (dont les banques, donc) de fournir dans leurs relevés des informations permettant d'identifier sans ambiguïté le bénéficiaire du paiement, en particulier son nom de marque commerciale.

Des lacunes qui ont des conséquences

Pourtant, les lacunes des banques dans la présentation des historiques bancaires ont des conséquences sur la qualité du service rendu aux usagers, et donc sur leur satisfaction.

L'enjeu n'est pas seulement cosmétique. Mieux présenter les opérations, c'est faciliter le repérage des transactions anormales, et donc la détection d'éventuels débits frauduleux, dans un contexte de flambée des escroqueries bancaires.

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Autre enjeu : le retard pris par les banques dans l'enrichissement des données de paiement nuit à la qualité des outils de gestion budgétaire. La plupart des banques, en effet, proposent désormais à leurs clients des outils conçus pour leur permettre de suivre finement leurs dépenses par poste budgétaire, et d'opérer, le cas échéant, des changements dans leur train de vie. Utile, à l'heure où la forte inflation vient compliquer les fins de mois de nombreux ménages.

Problème : pour bien fonctionner, ces outils nécessitent, en amont, que chaque opération soit correctement catégorisée. Or c'est loin d'être toujours le cas : les erreurs sont légion, contraignant l'usager à les corriger lui-même. Ou, le plus souvent, à cesser d'utiliser la fonctionnalité.