L'essentiel

  • Les ETF à effet de levier font miroiter des gains potentiellement élevés.
  • Cependant, les experts avertissent que ces ETF peuvent conduire à des pertes significatives.
  • L'AMF et d'autres observateurs soulignent également que ces produits devraient être réservés aux investisseurs expérimentés et ne sont pas adaptés à une détention à long terme.

« Investissez sur les ETF à effet de levier ! Si la bourse fait X2, vous ferez X4 ! » En se faisant passer pour client, Moneyvox a entendu cette recommandation de la part de plusieurs conseillers, dans différents établissements. À première vue, la chose semble séduisante. On connaît bien désormais les ETF, ou trackers, produits populaires qui reproduisent la performance de nombreux indices.

Parmi eux, certains intègrent un coefficient « X2 », « X4 »... Nommés « leverage », ils appliquent un coefficient multiplicateur du résultat de l'indice. Certains proposent même une approche « bear », qui augmente les gains en cas de baisse des marchés. « C'est un produit idéal pour un jeune investisseur, nous suggère d'ailleurs un commercial. En misant 1 000 euros sur du X2, c'est comme si vous aviez placé 2 000 euros ! » Cela a tout du bon plan ! D'ailleurs, selon l'Autorité des marchés financiers (AMF), plus de 100 000 investisseurs en ont déjà négocié.

Repères

Dans son étude de « l'activité des investisseurs particuliers en ETF » (novembre 2024), l'AMF mesure les comportements relatifs aux produits à multiplicateurs. Si le marché des trackers explose, avec près de 635 000 investisseurs depuis 2018, ils n'ont été qu'un peu plus de 16,5%, soit 125 000, à parier sur les versions avec coefficients. En valeur, ils représentent un à deux milliards d'euros d'échanges par trimestre, soit le double des ETF classiques ! La raison : une faible proportion d'investisseurs (environ 150 !) sont extrêmement actifs, dépassant les 50 transactions trimestrielles. Une part importante (plus de 75%) de personnes réalisent très peu de transactions, et sont probablement positionnées à moyen ou long terme. Bien loin des préconisations sur ce type d'actif...

« L'effet levier peut ressembler à un château de cartes »

Risques techniques

Sauf que... Les choses ne sont pas aussi simples. « Sur le papier, cela semble alléchant », confirme Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l'Épargne, think tank dédié aux sujets financiers. « L'industrie des ETF connaît un essor monstrueux. Mais il faut se méfier : l'effet levier peut ressembler à un château de cartes. » A ses yeux, le premier problème est d'ordre technique. Le gestionnaire doit être en mesure de livrer une performance doublée à tout moment. « Le risque, c'est en cas d'inversion massive des indices. Tout le monde veut alors sortir. » Le gestionnaire va devoir stopper ses positions en pleine chute. Ce qui peut causer de grandes difficultés.

« C'est toujours la même chose : quand les bourses baissent moins, on voit apparaître plus de levier », constate Jean-Michel Beacco, économiste, professeur en finances à Paris Dauphine et président du département Sciences économiques, gestion, finance de l'école des Ponts. « Les investisseurs s'ennuient à faire du 3% ! » Il confirme une difficulté autour des fonds « à multiple », qu'ils soient en ETF ou non. « Les autorités ont du mal à encadrer ces produits. À chaque fois qu'il en sort, il y en a de très bons, et des désastreux. Le risque, c'est de vendre de l'ignorance. »

Le professeur appelle donc à les décortiquer. « On ne fait pas du X2 par miracle. Le multiple provient du fait que le gestionnaire a acheté des options, paris qui permettront de décupler la performance. » Or un pari... reste un pari ! « Plus il sera risqué, plus il rapportera. » Mais plus il a également de chances d'échouer, même si le marché grimpe ! « Ce sont des produits pour lesquels regarder les performances passées a encore moins de sens. »

« L'effet de levier amplifiera non seulement les gains, mais aussi les pertes »

Car ces fonds sont contre-intuitifs. « Dans le cas d'un ETF à effet de levier X2, il ne faut pas comprendre que la performance va être égale à deux fois son indice, entre le moment de la souscription et de la revente », prévient France Mayer, directrice des relations avec les épargnants et de leur protection à l'Autorité des marchés financiers. « Ces ETF se basent sur la performance journalière de l'indice de référence et sont réinitialisés chaque jour. »

Pour faire simple : le multiplicateur s'applique sur le résultat quotidien, et se remet à zéro chaque jour. C'est là que réside le principal malentendu. « Les épargnants doivent être particulièrement vigilants, précise Philippe Guillot, secrétaire général adjoint de l'institution. L'effet de levier amplifiera non seulement les gains, mais aussi les pertes. »

Il prend un exemple simple. Si un lundi, un indice vaut 100 et monte de 10%, il sera à 110. L'ETF X2 atteindra alors 120. Le mardi, si le marché perd 9%, l'indice de référence redescend à 100,1. Que se passe-t-il pour la version leverage ? « Elle va perdre 18%. Et donc arriver à 98,4 ! », poursuit Philippe Guillot. Le X2 va alors sous-performer ! Ce décalage s'appelle le beta slippage.

Court terme

Édouard Petit, qui vulgarise la bourse sur son site epargnant30.fr, a effectué un calcul de performance d'un tracker X2 sur le CAC 40 de 2008 à 2019. Alors que le panier d'actions françaises a réalisé une « performance annualisée de 4,2% », son X2 n'a offert que... « 1,5% par an » ! La faute à l'impact majoré des baisses...

Les experts sont formels : cela n'a rien d'un produit à laisser dormir dans son portefeuille ! Pourtant, la durée de détention médiane de ces produits dépasse les deux mois. « C'est beaucoup », assure Philippe Guillot. Pour que cela fonctionne, il faudrait que l'indice connaisse deux mois de hausse continue. Cela n'arrivera bien sûr jamais. Le secrétaire général adjoint de l'AMF est donc clair : « ce sont des produits prévus pour être gardés moins de 24h » pour améliorer le résultat quotidien d'une tendance de marché haussière, ou pour couvrir une position. Attention : il y a un biais majeur en assurance vie. Le délai de prise en compte d'un arbitrage étant décalé... Au lieu d'un jour en positif, il peut s'appliquer sur un moment de perte. Le produit n'est donc clairement pas adapté à cette enveloppe !

Assurance vie : 4 conseils avant de miser sur les si prometteurs ETF

« Avant de se lancer, il est essentiel de bien comprendre ce dans quoi on investit »

Défaut de conseil ?

Quid des conseillers qui promettent un X2 éternel ? « Le présenter comme cela, de façon schématique, est une mauvaise commercialisation du produit », regrette France Mayer. Elle espère que ce n'est pas une méthode répandue chez les distributeurs. Et pourtant...

Parmi les documents d'informations clés (DIC), normés au niveau européen et visés par l'AMF, Moneyvox a identifié par exemple un produit X2 présenté avec deux mentions contradictoires : « Recommandation : ce fonds pourrait ne pas convenir aux investisseurs qui prévoient de retirer leur apport avant 5 ans » et « durée de détention recommandée : 1 jour ». De quoi créer de la confusion. Plus étonnant, la même fiche ajoute : « Ce produit s'adresse aux investisseurs, qui ont une connaissance de base et une expérience limitée ou inexistante de l'investissement dans des fonds... » Ce qui est clairement inexact !

« Avant de se lancer, il est essentiel de bien comprendre ce dans quoi on investit », argumente France Meyer. En cas de proposition inadaptée, elle invite à « se retourner vers son conseiller », voire « poser une réclamation ». En dernier recours, il est possible de saisir la médiation de l'AMF.

Plutôt les actions

Faut-il donc éviter ce type d'actif ? Tout dépend de sa situation personnelle, nuance le secrétaire général adjoint de l'Autorité. Si « les ETF à effet de levier ne sont pas adaptés à tout le monde », sur une journée, ils peuvent « correspondre à un sentiment de marché ». À l'inverse, « par leur construction, il est logique qu'ils sous-performent l'indice à long terme. C'est mathématique. » Une approche risquée serait donc de ne miser que sur ces produits. Or 7,7% des investisseurs en ETF ne misent que sur le levier, soit 50 000 personnes.

Dans ce cas, il vaut mieux être un investisseur aguerri, « avec un profil de risque plus agressif », analyse l'économiste Jean Michel Beacco. Qui appelle à rester « raisonnable. Quand on perd 20%, cela fait mal. Ce n'est pas la peine de faire +10 et ensuite -50% ! »

Il conclut avec une approche plus sage : le « coefficient Beta » des actions. Celui-ci mesure la performance historique d'une action par rapport à un indice. Par exemple, le Beta de Renault est de 1,7. Cela veut dire que lorsque le CAC 40 gagne 1%, l'action de la marque automobile progresse en moyenne de 1,7%. Le coefficient est de 1,3 pour Saint-Gobain, 1,2 pour BNP Paribas, et ainsi de suite... « C'est un effet de levier bien plus simple ! » Plus simple, et sans doute plus sain, pour tenter de surperformer à long terme !

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