Remise en cause de la solidarité fiscale en cas de divorce, éviter qu'un époux ayant tué sa femme ne profite d'avantages matrimoniaux au détriment des héritiers. Voici les deux principaux objectifs de ce texte qui adopté définitivement le 23 mai par l'Assemblée nationale et publié au Journal officiel le samedi 1er juin.

Réparer deux grandes injustices, conséquences du régime matrimonial : voici en bref l'objectif de la proposition de loi « visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille ». Un texte sur lequel députés et sénateurs ont eu des vues divergentes lors de la navette parlementaire. La commission mixte paritaire (CMP) mêlant certains sénateurs et députés a été fructueuse : un accord s'est noué mardi 14 mai. L'Assemblée nationale a voté définitivement ce texte mercredi 23 mai et le texte a été promulgué samedi 1er juin au Journal officiel. Que va-t-il changer ?

1. Dettes de l'ex-conjoint en cas de divorce

« L'idée est de réparer une injustice majoritairement féminine », explique Hubert Ott, député Modem du Haut-Rhin, interrogé fin mars par MoneyVox sur cette proposition de loi qu'il a déposée fin 2023. « Statistiquement, la fraude fiscale, ce sont majoritairement les hommes qui les opèrent et les femmes qui sont victimes des poursuites du fisc... Ça peut être colossal ! »

Impôts, héritage... Cette loi qui va « réparer une injustice majoritairement féminine »

La situation actuelle. En cause : le principe de la solidarité fiscale. Ce principe, résumé en une phrase par Hubert Ott : « Dans le mariage, on est solidaire fiscalement : si l'un fait une bêtise, l'autre doit payer aussi... » Sauf que ce principe, qui n'est pas remis en cause par cette future loi, peut plonger une ou un ex-époux dans les dettes. La loi permet déjà une « décharge de responsabilité solidaire ». Mais cette décharge n'est accordée qu'en cas de « disproportion marquée » entre la dette et la situation financière et patrimoniale de la personne divorcée. Les conditions de décharge ont beau avoir été assouplies, seules 40,8% des décharges demandées à la DGFiP ont été acceptées en 2022 selon le rapport de la commission des lois.

« Si la femme rassemble des éléments, en prouvant qu'elle n'était pas au courant, elle pourra se constituer tiers et être sortie de ses devoirs liés aux obligations du mariage »

Ce qui va changer. « Ce texte prévoit des exceptions à ce principe sans le remettre en cause, explique Hubert Ott. Si la femme rassemble des éléments, en prouvant qu'elle n'était pas au courant - par exemple de dettes de jeux ou de triche fiscale dans l'entreprise de son mari -, ou qu'elle n'a pas bénéficié de ce que faisait son mari, alors elle pourra se constituer tiers et être sortie de ses devoirs liés aux obligations du mariage. Cela restera à l'appréciation de la justice ou de l'administration fiscale : ce sera possible mais pas automatique ! C'est ce que voulait Bercy. »

Jusqu'à présent, deux ex-conjoints ou ex-partenaires de Pacs ne pouvaient être considéré comme « tiers ». Cette future loi permettra de se constituer comme tiers, mais à condition donc de prouver ne pas avoir eu connaissance de la fraude fiscale !

Cette solution retenue en CMP ne convainc pas pleinement l'association des « Femmes divorcées victimes de la solidarité fiscale », qui souhaitait une refonte plus ambitieuse du mécanisme de décharge. Les regards se tourneront rapidement - une fois la loi promulguée - vers la doctrine fiscale (le Bulletin officiel des finances publiques, Bofip-Impôts), une mise à jour étant attendue selon Les Echos pour définir les recours permettant d'être reconnue comme « personne tierce ». « Les demandes de recours gracieux vont affluer dès que la loi sera promulguée », explique dans Les Echos Annabel-Mauve Bonnefous, présidente de cette association. « Nous allons être dans l'observation du taux d'acceptation. S'il est faible, nous repartirons à l'attaque dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025. »

2. Déchéance matrimoniale en cas de violences conjugales

L'autre mesure portée par cette (très probable) future loi porte sur les conséquences des violences conjugales sur l'héritage.

La situation actuelle. Il existe déjà le principe d'indignité successorale (un héritier ne touche rien s'il est complice de violences ayant entraîné la mort du défunt, notamment). Mais il existe une « lacune du droit matrimonial » pour citer un document du Sénat présentant cette proposition de loi : les avantages matrimoniaux sont si forts actuellement que le conjoint survivant passe avant les héritiers... même « dans le cas où il lui a donné la mort, de sorte qu'en la matière le crime peut malheureusement être profitable ».

« Si le dernier vivant est un meurtrier qui a tué sa femme, cela fonctionne de la même manière »

« Les personnes mariées qui essaient de prévoir leurs vieux jours se mettent parfois en communauté universelle en fin de vie, de façon à ce que les potentiels héritiers ne puissent rien réclamer qui affecte au survivant du couple », explique le député Hubert Ott, à l'origine de cette proposition de loi. « La communauté prévoit que le dernier vivant bénéficie d'un avantage matrimonial de façon que celui-ci ne puisse être destiné aux héritiers, les enfants le plus souvent. Tout se passe bien généralement car l'usufruit reste au dernier vivant. Mais si le dernier vivant est un meurtrier qui a tué sa femme, cela fonctionne de la même manière... »

Ce qui va changer. « Avec cette future loi, si le décès est dû au mauvais acte du survivant, la condamnation du responsable de brutalité ayant entraîné la mort, ou non, sur la personne décédée ne pourra plus bénéficier de l'avantage » matrimonial, explique Hubert Ott. En outre comme l'explique la commission des lois dans son rapport, « le périmètre de la révocation de l'avantage matrimonial » ne sera pas « pas cantonné aux cas de décès de l'un des deux époux ». S'y ajouteront la tentative de meurtre « si le donataire a attenté à la vie du donateur » ou « s'il est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ».