Qu'a changé la loi du 13 juillet 1965 ?
Elle a réformé le régime matrimonial permettant une véritable autonomie juridique des femmes mariées. Elle a consacré leur capacité à gérer leurs biens, à exercer une activité professionnelle et à ouvrir un compte bancaire sans l'autorisation de leur mari.
« Le code napoléonien de 1804 a fait de la femme mariée une mineure, au même titre que les enfants »
Pour comprendre l'ampleur de cette révolution, un retour au code napoléonien de 1804. Il a fait de la femme mariée une mineure, au même titre que les enfants. Elle avait le droit d'avoir un travail ou d'ouvrir un compte épargne par exemple, mais elle devait avoir l'autorisation de son mari.
Cette loi du 13 juillet 1965 intervient juste avant les lois dites « Debré » de 66-67, qui ont transformé le secteur bancaire. Elles avaient pour objectif de faire entrer l'argent des Français dans les banques de détail. Ces lois ont facilité l'installation des agences bancaires et autorisé les banques commerciales (alors nationalisées) à proposer des comptes sur livret. A l'époque, le choix a été de ne pas rémunérer les dépôts à vue mais d'imposer aux banques la gratuité des chèques, de façon à encourager leur usage aux dépens de l'argent liquide.
A l'époque, à peine 20% des ménages disposaient alors d'un compte bancaire : des commerçants et des chefs d'entreprises le plus souvent. Le modèle dominant était le versement du salaire en liquide toutes les quinzaines. L'une des revendications de Mai 68 fut la mensualisation des salaires, elle est devenue progressivement la norme, et ces derniers à partir d'un certain montant devaient obligatoirement être versés sur des comptes bancaires. Près de 9 ménages sur 10 en possédaient un en 1976.
« Je gère les finances, ma femme ne s'y intéresse pas » ... Comment concilier couple et argent
Comment a été perçu par la société le droit des femmes mariés d'ouvrir leur compte bancaire ?
Les femmes, c'est toujours le cas aujourd'hui, s'occupaient de la gestion quotidienne des courses et des factures. Mais avec la bancarisation, les outils se modernisent avec l'arrivée des prélèvements, et le développement des chéquiers. D'ailleurs il n'est pas rare dans les archives des années 1960 de lire des remarques sexistes disant qu'il est dangereux de laisser les femmes utiliser un chéquier : elles s'en serviraient pour dépenser sans compter l'argent de leur mari.
Malgré tout, cette époque est marquée par un retour des femmes sur le marché du travail après l'avoir quitté après la deuxième guerre mondiale. La société entre alors progressivement dans un nouveau modèle de couple où les deux conjoints gagnent leur vie, même si le salaire des femmes reste inférieur à celui des hommes. Cette loi de 1965 entérine la transformation de la place des femmes dans l'économie. Mais elle n'est qu'un début. Il a fallu attendre 1986 pour que la loi autorise les femmes mariées sous le régime de la communauté à gérer avec leur mari les biens communs du couple. C'est en 1986 également que la femme doit également signer la déclaration de revenus, en plus de son mari.
Couple et argent : quelle part de leurs revenus les Français mettent-ils en commun ?
Parmi les évolutions plus récentes, il y la loi Rixain de 2021. Quelle est sa portée ?
Elle oblige à ce que les salaires et les prestations sociales soient payés par virement obligatoirement sur les comptes bancaires dont le bénéficiaire est titulaire ou cotitulaire du compte. C'est une garantie que les femmes jouissent de leurs revenus. Cette loi est destinée à lutter contre les violences économiques (gestion exclusive du compte joint par l'homme, contrôle total des ressources du couple et de leur utilisation...).
« La loi Rixain de 2021 marque aussi la prise en compte de la question du genre dans les enjeux bancaires »
Cette loi marque aussi la prise en compte de la question du genre dans les enjeux bancaires. Le féminisme, à juste titre, s'intéresse depuis longtemps à l'égalité des salaires entre les hommes et les femmes. La question des moyens de paiement peut sembler moins cruciale mais la répartition de l'argent au sein des couples est un sujet primordial. Dans la lutte contre les violences économiques, qui on le sait désormais accompagnent quasiment systématiquement les autres formes de violences conjugales, toutes les mesures permettant aux femmes d'accéder aux ressources qui leur reviennent (salaires, allocations familiales, pensions alimentaires...) est essentiel.
Qu'est-ce qui doit encore changer selon vous ?
Ce que je trouve très intéressant, c'est la budgétisation par le genre : les collectivités locales ou les Etats analysent l'impact différencié de leurs décisions, de subventions, de hausse ou de baisses d'impôts ou d'investissement sur les hommes et les femmes. On met alors au jour des inégalités qui ont parfois été créées involontairement et en y remédiant on peut améliorer l'égalité entre les sexes.
La fiscalité fait partie de ces questions de gender budgeting. Par exemple, aux États-Unis, il y a des allégements fiscaux conséquents sur les prêts immobiliers. Les crédits les plus importants étant avant tout souscrits par des hommes, ces derniers profitent le plus de ce dispositif.
« Les femmes entrepreneuses obtiennent moins de crédits que les hommes »
C'est le cas aussi pour les femmes entrepreneuses qui ont plus de difficultés que les hommes en France à toucher des subventions et doivent davantage s'autofinancer. Et quand elles demandent des crédits à la banque, elles obtiennent des montants forcément moins élevés. Dès le départ, les femmes créent des entreprises qui vont moins se développer et générer moins de richesses.
Il y a aussi des différences en termes de placements même si les femmes disent épargner autant que les hommes selon une récente étude de l'Autorité des marchés financiers.
Oui, et cela creuse les inégalités de revenus et patrimoine. Elles s'estiment moins compétentes que les hommes pour aller sur des produits plus risqués. Elles laissent davantage leur place sur la question des placements financiers alors qu'elles sont tout à fait compétentes puisqu'elles gèrent souvent le budget familial au jour le jour.
Plus généralement, elles ont moins le sentiment de propriété de leur argent que les hommes. Elles considèrent davantage que leur argent doit servir à leur famille et la collectivité et que leur épargne doit être placée sur des supports sécurisés en cas de coup dur, même si cela ne permet pas d'en faire des fortunes.
Mais les choses changent : des associations poussent les femmes à investir, des fonds d'investissement se spécialisent sur l'investissement féminin. Si les femmes sont capables d'investir, elles doivent, avant tout s'autoriser à le faire. Mais cette situation ne vient pas de nulle part. Avec le code civil de 1804, pendant plus d'un siècle et demi, la loi a fait de la femme un sujet mineur, incapable d'avoir voix au chapitre sur les grandes décisions financières au sein du couple.
Ce rôle historique dévolu aux hommes, on le retrouve malgré les avancées de loi de 1965. Aujourd'hui, en général, un banquier contactera davantage l'homme que la femme pour gérer les questions d'argent d'un couple hétérosexuel.
Cette loi de 1965 autorisant les femmes mariées à ouvrir leur compte bancaire a certes accéléré l'autonomisation financière des femmes, mais les stigmates de l'Histoire sont toujours visibles.
Cette situation change pour les nouvelles générations. Les femmes en couple savent de plus en plus l'importance de gérer leur argent et de la faire fructifier, ne serait-ce que pour parer à une éventuelle séparation.
« Je ne pense pas que l'interdiction de verser le salaire sur un compte joint viendrait régler toutes les situations »
De nombreux couples gèrent leur argent avec seulement un compte joint. Pour lutter contre les violences économiques, faut-il aller au-delà de la loi Rixain et interdire le versement de la rémunération sur un compte commun ? Et donc finalement imposer à chaque conjoint d'avoir son compte bancaire personnel ?
Il n'y a pas de solution miracle. Dans les situations d'emprise, le conjoint violent pourrait accéder aux ressources qui ne lui appartiennent pas grâce une simple procuration bancaire. Je ne pense pas que l'interdiction de verser le salaire sur un compte joint viendrait régler toutes les situations. Dans certains cas, l'accès au compte joint est un moyen pour les femmes d'accéder aux ressources de leur compagnon et les protège.
Couple et argent : l'obligation d'avoir un compte bancaire personnel, une bonne idée ?
Les banques commencent à réfléchir à ces enjeux, certaines ont mis en place une ouverture de comptes gratuits pour les personnes qui ont besoin d'une indépendance financière rapidement en cas de violences économiques conjugales. Tous les outils bancaires doivent être mis à disposition pour améliorer la protection des femmes dans les situations d'urgence, et également pour leur permettre de gérer leur argent et le faire fructifier au mieux au jour le jour, en sachant qu'elles ont des contraintes et des enjeux qui ne sont pas toujours les mêmes que ceux des hommes.