Emmanuel Macron est-il prêt à revenir la réforme des retraites pour nommer un Premier ministre ? Honnie de la gauche et des syndicats, son emblématique loi qui repousse l'âge légal de départ à 64 ans apparaît comme stratégique pour le prochain chef du gouvernement.

Accepter de reculer sur les retraites, marquer la rupture, mais pas à n'importe quel prix. Alors que l'hypothèse d'un retour de Bernard Cazeneuve à Matignon tenait la corde ces derniers jours - l'intéressé a été reçu à l'Elysée lundi matin - un autre ancien socialiste doutait que le chef de l'Etat concrétise cette nomination. Et pour cause : « Si c'est un Premier ministre de gauche, il va faire l'abrogation des retraites, vous pensez que Macron l'accepterait ? »

La mesure lui a déjà beaucoup coûté depuis un an et demi : des mois de crise sociale et politique, une image durablement écornée par le passage en force via un 49.3 à l'Assemblée, et un sentiment persistant d'injustice dans l'opinion.

Une rancœur exploitée aux législatives par ses opposants, qui du Nouveau Front populaire au Rassemblement national ont fait de l'abrogation de la réforme leur première promesse de campagne.,Cible des manœuvres élyséennes, les socialistes se veulent intransigeants sur l'épineux dossier. Et divisés sur l'option Cazeneuve. S'il « obtient l'abrogation, je réfléchirais, bien sûr », esquive leur chef Olivier Faure, mais « pour l'instant, je ne sais pas ce (qu'il) dit (...) si c'est un gel, une suspension ou une abrogation ».

Quelques nuances se font tout de même entendre dans les rangs, comme celle de Jérôme Guedj qui veut « remettre le sujet sur la table » mais « ne parle pas à ce stade d'abroger » pour tenir compte du résultat des urnes. « Comme la gauche n'a pas gagné, on suspend, on gèle et on rediscute avec les partenaires sociaux », explique le député de l'Essonne, pourtant élu sur une ligne identique à celle du NFP sur cette question.

Une méthode qui pourrait convenir à un autre Premier ministre putatif, l'actuel président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) Thierry Beaudet, rompu aux subtilités du dialogue social au sein de la « troisième chambre de la République ».

Lâcher du lest

Des lignes qui bougent à gauche, mais aussi au centre, où François Bayrou se dit « persuadé » qu'il est possible de « trouver mieux comme équilibre » et de « rechercher des meilleurs réglages » sur les retraites. Mais l'allié historique d'Emmanuel Macron « ne croi(t) pas à la pause » ni que le pays puisse « ne pas avoir une stratégie de rééquilibrage des retraites ».

D'autant que l'âge légal, déjà remonté à 62 ans et demi, doit progressivement atteindre 64 ans d'ici à 2030, afin de réduire les dépenses d'environ 18 milliards d'euros. Somme déjà rognée par les quelque sept milliards concédés en contrepartie pour des « mesures d'accompagnement » (retraites anticipées, carrières longues, petites pensions...) qui n'ont pas rendu la loi moins impopulaire.

Le président du Modem reste néanmoins convaincu que « si une réforme était justement pensée, justement améliorée, et présentée aux Français avec suffisamment d'esprit de conviction et de justice, alors l'opinion bougerait ».

Peut-être aussi la revalorisation d'un million de petites pensions, « au plus tard en octobre » et avec « rattrapage » des douze derniers mois, sera-t-elle de nature à arrondir les angles. « Demandez aux Français qui bénéficient de cette réforme (...) je pense qu'ils le prendraient d'une très mauvaise manière », souligne ainsi Yaël Braun-Pivet, pour mieux affirmer que « l'abrogation serait quelque chose de très néfaste ».

« Il convient de garder ce que nous avons fait », estime la présidente de l'Assemblée nationale, qui toutefois « ne ferme pas la porte » à des aménagements et se dit même « très favorable » à ce que l'on « rediscute un certain nombre de points » comme la pénibilité ou les inégalités femmes-hommes.

Alors jusqu'où lâcher du lest ? L'équation budgétaire reste délicate, avec un déficit du système toujours attendu à 0,4 point de PIB - soit plus de dix milliards d'euros - en 2030, selon le Conseil d'orientation des retraites. Et plus globalement la procédure pour « déficit excessif » lancée par Bruxelles fin juillet.

Contexte qui compte beaucoup aux yeux de l'ex-Premier ministre Edouard Philippe et son parti Horizons, mais aussi de la Droite républicaine de Laurent Wauquiez, avec lesquels le futur gouvernement devra également composer.