Pour que les salariés les moins bien payés puissent être augmentés plus facilement, un rapport très attendu rendu public jeudi propose de répartir différemment les allègements de cotisations aujourd'hui fortement concentrés au niveau du Smic.

« Nous proposons de casser la dynamique consistant à sans cesse renforcer les exonérations sur les bas salaires », indiquent les économistes Antoine Bozio et Etienne Wasmer dans la version finale de leurs travaux, remise au gouvernement qui les avait missionnés en novembre.

Afin de supprimer les effets de seuil et de diminuer le coût pour les employeurs des augmentations de salaire, ils proposent dans leur scénario central de relever les cotisations entre 1 et 1,2 Smic, de les alléger entre 1,2 et 1,9 Smic et de les alourdir entre 1,9 et 3,5 Smic. Les allègements s'arrêteraient à 2,5 Smic, contre 3,5 Smic aujourd'hui.

Le système d'exonérations qui s'est progressivement mis en place en France depuis trois décennies a abouti à ce que le taux de cotisations qui pèse sur un Smic ne soit plus que de 6,9% contre 45% en 1993, plaçant la France dans le bas du tableau au niveau des pays de l'OCDE.

De plus en plus de salariés payés au Smic

Le nombre de salariés payés au Smic a fortement augmenté en France. Au 1er janvier 2023, 17,3% des salariés étaient concernés. Dans certains cas avec le système actuel, le salarié n'est lui-même pas incité à demander une augmentation, parce qu'il peut perdre tout ou partie de sa prime d'activité s'il est augmenté.

Pour une personne seule sans enfant au niveau du Smic, « l'augmentation du coût du travail nécessaire à une augmentation du revenu disponible de 100 euros par mois est, en octobre 2023, de 483 euros, dont 78 euros s'expliquent par la variation de la prime d'activité », selon le rapport.

D'importants effets de seuil à gommer

Il existe aussi d'importants effets de seuil, selon les économistes qui mentionnent le cas d'une augmentation du salaire brut mensuel de 3 803 euros à 3 804 euros (au seuil de 2,5 Smic), qui « conduit pour l'employeur à une hausse du coût du travail annuel de 2 756 euros, contre un gain net pour le salarié d'environ 9,50 euros sur l'année ».

La réforme doit permettre de « redynamiser les salaires », a affirmé Etienne Wasmer lors d'un point presse : avec le scénario central, le coût pour augmenter les salariés baisserait « assez significativement de l'ordre de 10% ». Dans le cas d'une personne seule sans enfant au niveau du Smic, la hausse de 100 euros couterait ainsi 430 euros et non plus 483 euros.

« Cette réduction doit rester limitée » pour ne pas pénaliser l'emploi, expliquent les économistes qui ont élaboré des scénarios alternatifs qui soit coûteraient plusieurs milliards d'euros aux finances publiques, soit détruiraient des postes de travail. Leur scénario central a un effet « globalement positif » sur l'emploi, de l'ordre de 10 000 emplois créés.

Restreindre les exonérations aux salaires inférieurs à 1,9 Smic

Une autre option serait par exemple de maintenir un niveau d'exonération identique au niveau du Smic, et de restreindre les exonérations aux salaires inférieurs à 1,9 Smic. Le gain budgétaire serait de 12,1 milliards d'euros, mais 61.000 emplois seraient perdus, ont calculé les auteurs.

« On est quand même en train de proposer pour la première fois depuis trente ans d'augmenter le coût du travail au Smic. On brise quand même un peu un tabou, on dit qu'il faut y aller doucement », a souligné Antoine Bozio.

Tout en reconnaissant qu'il s'agit d'une première, le secrétaire confédéral de la CGT Thomas Vacheron juge l'augmentation de cotisations au niveau du Smic « très modeste ». Et en travaillant à budget constant, on « élargit le problème », alors qu'« il faut sortir de l'addiction aux exonérations de cotisations », selon lui.