Pendant presque deux ans, E.Leclerc, déjà largement leader du secteur de la grande distribution, a affiché des performances jamais vues auparavant, conséquence d'une image bâtie sur le prix bas et d'une stratégie économique sans concession, qui mettent les concurrents sous pression.

A qui a profité l'inflation ?

Du début 2023 à juillet 2024, l'enseigne a enchaîné des gains de part de marché supérieurs à un point. C'est inédit, et énorme : cela représente près de 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel additionnel, sur un marché évalué par l'Insee à 241,4 milliards d'euros (hors taxes).

Au dernier pointage du panéliste Kantar, les 734 magasins et 731 « drives », propriété des près de 600 patrons adhérents au « mouvement » E.Leclerc, s'octroient 24,1% du marché français. Mi-2013, quand E.Leclerc avait détrôné le géant Carrefour, il ne pesait que 20% de ce marché peu habitué aux fortes variations. Sur la période de forte inflation que vient de connaître la France, aucune autre enseigne de la grande distribution n'a pu rivaliser.

Quelle stratégie ?

A la rentrée 2022, Michel-Edouard Leclerc, disait à l'AFP avoir vite senti venir la période de forte inflation, fort de son expérience d'une précédente crise inflationniste, dans les années 70. Aujourd'hui âgé de 72 ans, il n'a plus de rôle exécutif au sein du mouvement, mais y conserve un rôle influent.

Quand les prix ont commencé à s'envoler, les vrais décisionnaires, les patrons de magasins, organisés en coopérative, ont choisi de tenir voire réduire leurs marges pour garder des prix sensiblement plus bas que la concurrence, avant de les monter plus progressivement.

L'enseigne historiquement bâtie sur le prix bas a ainsi convaincu ses clients de dépenser davantage chez elle, et attiré de nouveaux consommateurs. Les trois cinquièmes des gains de parts de marché sont dus aux clients habituels qui ont davantage consommé chez E.Leclerc, le reste étant des « volumes pris à la concurrence », détaille auprès de l'AFP David Leconte, directeur des études consommateurs pour le cabinet d'études NielsenIQ.

L'enseigne est en outre bien implantée dans l'ouest de la France, notamment le littoral qui accueille depuis l'épidémie de Covid-19 davantage de télétravailleurs et de retraités, au pouvoir d'achat souvent élevé.

Quels atouts ?

Avoir des prix en moyenne plus bas que la concurrence fait partie des règles que doivent respecter les patrons de magasins E.Leclerc. Pour ce faire, l'enseigne réduit autant que possible ses coûts de fonctionnement. Son modèle est considéré par la journaliste du média spécialisé LSA Magali Picard comme « le plus économe du paysage », dans un livre sur Michel-Edouard Leclerc.

E.Leclerc revendique en outre assez volontiers être impitoyable avec ses fournisseurs, notamment les plus gros, lors des négociations sur les conditions de vente des denrées commercialisées dans ses rayons. Si elle n'est pas la seule dans le secteur, l'enseigne a déjà été sanctionnée à plusieurs reprises - cet été encore, elle a écopé d'une amende de 38 millions d'euros pour non-respect de la date limite des négociations.

En outre son poids économique place le groupe en position de force dans ces négociations : même ses plus gros fournisseurs ne peuvent se passer de près d'un quart du marché français.

En revanche, E.Leclerc ne mégote pas sur la communication : il a été en 2023 le plus gros annonceur publicitaire de France, avec plus de 600 millions d'euros de budget brut (hors remises), devant Lidl, Intermarché, Renault et Carrefour, selon le panéliste Kantar.

Quelle réponse des concurrents ?

Ses concurrents s'efforcent de faire le match sur le prix, multipliant les promesses de baisse de tarifs et de promotions - pour celles qui le peuvent : Casino, étranglé par sa dette, n'a pu tenir le rythme. Les deux plus gros challengers de Leclerc, Carrefour et Intermarché, ont aussi racheté des concurrents pour faire croître leurs ventes. Carrefour a croqué Cora et Match, Intermarché est en train d'avaler des centaines de magasins cédés par Casino.

Si l'inflation continue à ralentir, le prix pourrait devenir un critère d'achat un peu moins primordial aux yeux des clients, estime David Lecomte, de NielsenIQ. Mais si la dynamique de l'enseigne née à Landerneau dans le Finistère, pourrait être un peu moins spectaculaire, cela n'enlève rien à ses « forces intrinsèques », estime encore l'expert.