Sandy Campart, Enseignant à l’IUP Banque Finance Assurance de l’Université de Caen-Normandie
Sandy Campart
Enseignant à l’IUP Banque Finance Assurance de l’Université de Caen-Normandie
Sandy Campart est enseignant-chercheur à l’IUP Banque Finance Assurance de l’Université de Caen-Normandie, et co-auteur avec Thierry Bisaga d’« Investir responsable – Et si on donnait du sens à nos placements ? » (ed. EMS).
Bruno Séjourné, Professeur de Sciences économiques à l’Université d’Angers
Bruno Séjourné
Professeur de Sciences économiques à l’Université d’Angers
Bruno Séjourné est professeur de Sciences économiques à l’Université d’Angers et Directeur de l'École Supérieure d'Économie et de Management des Patrimoines (ESEMAP)
L'ESG est à la mode. Selon l'AFG, association des acteurs de la finance, les encours des fonds « responsables » français dépassent les 1000 milliards d'euros. Mais à quoi correspond ce chiffre ? Entre ce qui relève de labels, règlementations ou du marketing, c'est un peu flou...

Bruno Séjourné : « Le constat est largement partagé. Le « flou artistique » a contribué à faire circuler l'idée que l'épargne responsable, c'était un peu n'importe quoi. Que l'on était totalement dans le greenwashing. Ce n'est pas tout à fait vrai, mais on peut évoquer un problème de confiance. Une chose est certaine : il y a un grand besoin de clarification ! Et pas seulement pour le grand public. C'est aussi valable pour ceux qui sont chargés de commercialiser les produits. Eux-mêmes ont une maîtrise relativement limitée de ces concepts ! »

Des mesures ont été mises en place par les autorités pour réguler le marché. Le problème, c'est qu'un cadre européen (SFDR) et un label français (ISR) se « superposent ». Comment s'y retrouver ?

Sandy Campart : « C'est vrai que c'est compliqué ! Au niveau européen, la règlementation SFDR établit les articles 8 et 9. Le 8 est « light » : il suffit de faire la promotion des caractéristiques sociales et environnementales en sélectionnant des actifs avec certains critères extrafinanciers. Par contre, pour l'article 9, vous devez démontrer que vous mettez au centre de votre philosophie d'investissement un objectif de durabilité : transition énergétique, économie circulaire...

« Le Label ISR vise à donner confiance, un peu comme les AOC et AOP pour les produits alimentaires »

Le label français ISR (investissement socialement responsable) offre un avantage : il y a un cahier des charges. Comme pour les normes ISO, des audits sont réalisés par des cabinets indépendants. Il faut donner sa méthodologie de sélection selon les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Démontrer que l'on a classé les titres et que l'on en a rejeté certains. Cela vise à donner confiance, un peu comme les AOC et AOP pour les produits alimentaires. »

La majorité des fonds « éthiques » sont investis dans les entreprises. Comment sont-ils construits ?

Sandy Campart : « Généralement, les gestionnaires commencent en retirant des sujets ou industries sensibles : industrie du tabac, pornographie, armement. C'est lié à des valeurs morales. Ils excluent également les entreprises qui ne respectent pas les traités internationaux, embargos...

Ensuite, pour leur sélection, les gérants mixent souvent deux approches : « Best in class », conserver les meilleurs dans chaque classe d'actif, et « Best effort » : les acteurs, quel que soit leur classement, qu'ils considèrent dans la dynamique de progrès la plus soutenue sur les critères ESG.

Il y a également le « Best in Universe ». On choisit les meilleures sociétés, tous secteurs confondus. On omet alors des secteurs d'activité dans leur ensemble. On l'utilise moins, car cela pose une question de diversification de portefeuille. Enfin, il existe des fonds thématiques ou excluant certaines classes. »

L'épargne solidaire : où placer son argent à bon escient ?

Tout cela est bien complexe. De quoi décourager les épargnants...

Bruno Séjourné : « Tout est allé assez vite. Dans un premier temps, on peut se dire que cela a un peu noyé les investisseurs. Ils avaient beaucoup de mal à se retrouver parmi les éléments mis en avant. D'ailleurs, une enquête Altaprofits de 2024 montre que la première raison qui fait que l'on ne privilégie pas les fonds responsables, c'est le manque d'informations. Et non pas la défiance, la peur du greenwashing. C'est intéressant de voir cela. On doit passer à la phase d'éducation sur l'ESG. L'épargnant doit pouvoir faire un choix éclairé. »

Pourquoi les Français fuient les placements verts

On a l'impression que tout d'un coup, tout est devenu ISR : les fonds, les gestions pilotées, la communication... Y'a-t-il eu des abus ?

Bruno Séjourné : « Le secteur financier a été très orienté vers cela. La loi Pacte, en 2020, a obligé les compagnies d'assurance à proposer au moins un fonds vert et un fonds solidaire. Déjà, en 2010, la loi de modernisation de l'économie avait intégré des contraintes pour l'épargne salariale.

Pour respecter la législation, les intermédiaires financiers sont allés très loin dans la démarche. Forcément, il y a eu beaucoup de communication, la grosse machinerie. Le greenwashing était alors plus important, car les choses n'étaient pas très claires.

Aujourd'hui, les choses commencent à rentrer dans l'ordre. Avec les fonds « Best in Universe », on finance les énergies renouvelables, les entreprises vertueuses... Les entreprises « Best effort » sont dans une vraie dynamique d'évolution. Par contre, les véhicules « Best in class » posent question, car ils peuvent intégrer les sociétés de secteurs polluants. »

« On a pu voir les excès du marketing autour du développement durable. Certains gérants utilisaient les termes vert , écologie... de façon abusive »

Sandy Campart : « On a pu voir les excès du marketing autour du développement durable. Certains gérants utilisaient les termes « vert » , « écologie », « transition »... de façon abusive. Ils coloraient leur plaquette en vert et ajoutaient une petite feuille.

L'Autorité des marchés financiers a donc publié des doctrines sur l'utilisation du vocable autour de la durabilité. Aujourd'hui, le poids de la règlementation s'intensifie pour que le greenwashing soit de moins en moins accessible et surtout de plus en plus pénalisé. »

1000 milliards d'euros, ce n'est pas rien. Comment expliquer ce volume de capitaux ?

Bruno Séjourné : « Comme les sociétés de gestion ont joué le jeu, au moins dans l'affichage, on s'est retrouvé avec des encours très importants. On a pu avoir le sentiment qu'il y avait un engouement, une réelle bascule des Français. Mais ce n'est pas la réalité : il n'y a pas eu de flux massifs ! On a surtout vu une transformation administrative et juridique vers l'ESG.

J'ai en mémoire le cas de La Banque Postale Asset Management. Tout à coup, tous ses fonds ont été convertis en « ISR », « ESG »... Les investissements « classiques » des clients de La Banque Postale sont alors devenus « responsables ». Il y a beaucoup d'exemples de ce type. »

Vu vos réponses, on peut se demander si ce marché est vraiment crédible...

Bruno Séjourné : « Les études récentes montrent qu'il y a eu des progrès. À travers ces véhicules, on a pu constater une diminution de l'intensité carbone des entreprises. De manière un peu paradoxale, ce n'est pas tant dû aux fonds les plus exigeants. Pourquoi ? Parce qu'ils sélectionnent des entreprises déjà vertueuses.

On peut comprendre l'attractivité pour les épargnants de financer des sociétés vertes, des éoliennes, des panneaux solaires... Mais en fait, c'est plutôt du côté des fonds « Best effort » qu'on a la trace d'une décarbonation plus importante. Car ces produits soutiennent la dynamique de transition, y compris dans les secteurs les plus polluants. »

Qui investit dans l'ESG ?

Bruno Séjourné : « Il y a quand même une dimension très forte de valeurs, de conviction, d'engagement. L'aboutissement, en termes d'épargne, d'une prise de conscience des problématiques d'environnement, de société... Mais il y a une limite. Les études montrent que les personnes les plus sensibles à ces sujets ne s'intéressent pas du tout à la finance. Quand ils ont un peu d'épargne, ces gens s'auto-excluent des investissements de ce type. On les verra plutôt choisir des livrets spécifiques, qui donnent par exemple une rémunération aux associations. »

Les livrets de partage, comment ça marche ?

Pour investir « responsable », faut-il accepter de sacrifier la rentabilité ?

Sandy Campart : « Il y a 15 ans, on entendait qu'avec l'ESG, on allait renoncer à de la performance. Car on laissait de côté certains secteurs d'activité ou entreprises. Cette idée reste ancrée dans la tête de la plupart des investisseurs particuliers. Or, pour avoir analysé les métadonnées de nombreuses études, il n'y a pas de différence significative avec les fonds classiques. C'est très facile à voir : comparez la courbe des grands indices actions et leur équivalent responsable : « CAC ESG », « MSCI World ESG »... Vous verrez qu'il n'y a pas de sous-performance. On s'oriente vers une convergence des résultats. »

« On ne paye pas un « surcoût » ESG. À long terme, on est même sur des fonds bien positionnés »

Bruno Séjourné : « Vous ne trouverez pas beaucoup de personnes prêtes à renoncer à du rendement ! Les recherches montrent que l'on ne paye pas, en quelque sorte, un « surcoût » ESG. À long terme, on est même sur des fonds bien positionnés. La petite perte de rentabilité que l'on trouvera parfois est souvent compensée par un risque un peu plus faible. »

Pourquoi le risque est-il moindre ?

Sandy Campart : « Pour les entreprises les plus vertueuses, il y aura moins de controverse et de scandales liés à l'environnement. Une démarche ambitieuse peut aussi minimiser les risques face aux situations extrêmes ou aux catastrophes. D'ailleurs, ces sociétés ont mieux résisté pendant les crises, notamment le Covid. »

Bruno Séjourné : « Les entreprises les plus responsables ne vont pas se retrouver décrochées quand des technologies plus vertueuses apparaîtront, ou deviendront la norme. Dans le même temps, les recherches démontrent qu'une évolution sur la partie sociale et de gouvernance a un effet positif sur la productivité. Cela peut être un critère de surperformance.

Le pendant, ce sont les coûts associés à la mise en place de ces pratiques. On peut voir une opposition entre des investissements importants à court terme, et une dynamique de long terme probablement plus intéressante. Ces entreprises ont vocation à être plus résilientes dans le contexte actuel. »

À l'avenir, l'ESG peut-il toucher tous les investisseurs ?

Bruno Séjourné : « Est-ce qu'au-delà des personnes « engagées », on aura une vraie dynamique du reste de la population ? Il y a déjà un effet générationnel : les plus anciens, qui détiennent les patrimoines les plus importants, ne sont pas les plus sensibles à ces questions.

Selon les recherches de l'Université de Stanford, ceux qui se préoccupent vraiment de ces sujets sont les plus jeunes. De même, l'AMF et l'OCDE mettent en évidence que les nouveaux investisseurs sont particulièrement intéressés par la finance durable. Il sera intéressant de voir l'évolution des choses, lors de la transmission du patrimoine de nos ainés. »

Que conseiller aux moins initiés ?

Sandy Campart : « Si vous investissez dans ces produits, c'est que vous vous sentez concerné par l'idée d'une épargne qui a du sens. Autant allez vers les produits les plus exigeants ! Si vous prenez quelque chose qui se réclame de l'article 9 du SFDR européen, et qui a obtenu dans le même temps un label officiel, notamment ISR, vous commencez à avoir un support de placement sérieux. Même avec une allocation 100% responsable, on l'a vu, on ne renonce pas aux performances. Et on met la pression sur les entreprises pour qu'elles améliorent leurs standards. »

Demain, tous les fonds seront-ils labellisés ISR ?

Bruno Séjourné : « Je ne crois pas. On augmente les niveaux d'exigences. Par réaction, des gestionnaires vont sortir de cette logique. Un rapport de Reclaim Finance montre un exemple parlant. Quand le nouveau label ISR est entré en vigueur, début 2025, 30% des fonds l'ont abandonné. Par exemple, certains n'excluaient pas les nouveaux projets charbon, pétrole et gaz. Malgré tout, la législation a permis de faire un pas en avant gigantesque. Désormais, quel que soit le support, il y aura plus d'offres sans une proposition ESG. »

Sandy Campart : « Ce qui est sûr, c'est que les fonds ISR vont prendre de plus en plus de place. Les encours progressent. La Banque centrale européenne demande aux banques de justifier des actions à ce sujet. Les grandes sociétés de gestion signent des accords internationaux pour pousser ces gammes. A un moment, les entreprises exclues des investissements ISR risquent d'être sous capitalisées, et potentiellement en difficulté. Toutes les sociétés doivent se poser la question. Car c'est une vague qui pourrait emporter tout le marché. »

Comparatif des comptes courants offres éthiques et solidaires