La polémique déclenchée cette semaine par un article publié lundi par MoneyVox le montre : le découvert bancaire est un sujet inflammable. La perspective d'un durcissement des conditions d'accès à l'autorisation de découvert en novembre 2026 a, en effet, entraîné une avalanche d'articles, parfois imprécis, et de réactions politiques, souvent outrancières.
Un risque d'interdiction du découvert bancaire ? Le vrai du faux
De fait, en France, l'autorisation de découvert est un des piliers de la relation bancaire, qui équiperait les trois quarts des clients bancaires. Autrement dit, l'immense majorité des Français dispose d'un feu vert de leur banque pour passer leur solde en négatif sans déclencher d'incidents de paiement, à condition de ne pas dépasser certaines limites de montant (très variables) et de durée (30 jours maximum en général). Et l'emballement, cette semaine, autour d'un (faux) risque d'interdiction du découvert, montre qu'ils y sont très attachés.
Pourtant, autoriser les consommateurs à dépenser plus d'argent qu'ils n'en ont sur leur compte est-il vraiment dans leur intérêt ? Ou plutôt dans celui de leur banque ? Cette pratique ne présente-t-elle pas des effets pervers ? Nous avons posé la question à des spécialistes du sujet.
Le découvert, une survivance du passé
Le découvert, un outil obsolète, une survivance du passé ? C'est l'opinion de Patrice Bernard, fin observateur des innovations bancaires sur son blog C'est pas mon idée. « Le découvert était une nécessité technique à l'époque où le chèque était le moyen de paiement dominant et où les comptes étaient tenus à la main ou sur des ordinateurs centralisés », rappelle-t-il. Dans cet ancien monde de la banque du quotidien, en effet, tous les paiements, y compris par carte bancaire, se faisaient « hors ligne », c'est-à-dire sans consultation du solde ni autorisation de la banque. Le risque était donc grand de déclencher un incident de paiement, parfois pour quelques euros (ou francs à l'époque) : bénéficier d'une marge de sécurité était en conséquence indispensable.
Cet impératif, toutefois, a largement disparu. Le chèque est en voie de disparition, les terminaux de paiement par carte sont désormais capables de communiquer en temps réel avec la banque, le virement instantané devient la norme, l'application mobile permet de consulter son solde partout et tout le temps... En résumé, c'est tout l'écosystème bancaire qui fonctionne en temps réel et est donc apte à prévenir les incidents de paiement.
« Soit les banques ont la volonté d'entretenir ce qui est devenu au fil des années une rente, soit elles considèrent que ce n'est pas prioritaire. Dans les deux cas, c'est un mauvais calcul »
Pourquoi le découvert bancaire, lui, n'a-t-il pas évolué en conséquence ? « Soit les banques ont la volonté d'entretenir ce qui est devenu au fil des années une rente, soit elles considèrent que ce n'est pas prioritaire. Dans les deux cas, c'est un mauvais calcul », estime Patrice Bernard.
Un monde sans découvert, pourtant, est possible. Des millions de Français, clients de Revolut, de N26 ou de Sumeria, l'expérimentent déjà, puisque ces néobanques n'autorisent pas les comptes débiteurs. À la place, elles proposent des outils d'alertes budgétaires, de gestion de comptes et d'aide à l'épargne. « Cette transparence, c'est ce qu'attendent les clients à l'âge de la banque digitale, et ce qui permettrait d'améliorer l'image du secteur en général », estime Patrice Bernard.
L'expert pointe également l'apparition de nouvelles solutions pour couvrir une dépense imprévue en l'absence d'épargne de précaution : « Nous avons assisté à l'explosion d'une autre forme de financement personnel, à savoir le BNPL [Buy Now, Pay Later, paiement différé ou fractionné en français, NDLR], qui a l'avantage (quand il émane d'acteurs sérieux) de prendre en compte la situation réelle du demandeur avant tout accord ».
Combien coûte un découvert autorisé ?
Dans le cadre de l'autorisation de découvert, les banques françaises appliquent des taux débiteurs très contrastés. Selon les relevés effectués par MoneyVox, ils vont aujourd'hui de 7% (BforBank, Boursorama, Fortuneo) jusqu'au seuil de l'usure (23,49% actuellement). Mais elles sont aussi nombreuses à faire preuve d'une certaine opacité, en affichant dans leurs brochures tarifaires des taux indexés sur leur « taux de base bancaire » (laissé à la discrétion de chaque banque), voire en n'affichant aucun taux !
Les taux des découverts autorisés ou non autorisés dans les différentes banques
Indispensable, mais mal utilisé
« Je ne suis pas favorable à l'interdiction pure et simple du découvert, c'est important de conserver cette marge, mais elle doit être limitée et surveillée. » Voici le point de vue de Pauline Dujardin, déléguée générale de la Fédération des associations Crésus, un réseau engagé dans la lutte contre le surendettement et l'exclusion financière. Utile donc, mais potentiellement dangereux.
« L'utilisation récurrente du découvert présente un risque de spirale »
La juriste déplore en particulier que cette autorisation de découvert soit parfois considérée comme un revenu disponible. « Son utilisation récurrente présente un risque de spirale », explique-t-elle. Chaque mois, le découvert du mois précédent doit être remboursé et aspire donc tout ou partie des ressources (le salaire ou les aides notamment) déposées sur le compte. Avec le risque de créer, au fil des mois, un déséquilibre croissant entre les rentrées et les sorties d'argent. « On ne doit pas accepter d'être à découvert en permanence, c'est un signal d'alarme », résume la porte-parole de Crésus.
En clair, le recours à une autorisation de découvert sert, dans certains cas, à « fuir des problèmes d'endettement ». Ce faisant, elle contribue à éloigner les consommateurs concernés des dispositifs d'accompagnement des personnes en difficultés financières. « Certains clients fragilisés ne veulent pas de l'OCF [offre bancaire à 3 euros par mois maximum, destinées aux clients dont la fragilité financière a été détectée par leurs banques, NDLR], encore moins déposer un dossier de surendettement, car elles ont tout simplement peur de perdre leur autorisation de découvert », déplore Pauline Dujardin.
En ce sens, la nouvelle obligation, pour les banques, d'étudier la solvabilité du demandeur pour les autorisations de découvert de moins de 30 jours, mais également la proportionnalité de leur montant par rapport à ses ressources, pourrait avoir des effets vertueux, en encourageant les personnes en difficulté à aller chercher l'aide qui existe. À condition, bien sûr, que cette évolution ne ferme pas complètement la porte du découvert aux ménages à petits revenus, dont la plupart ont une gestion budgétaire rigoureuse.
Compte bancaire : ce qui va changer avec les nouvelles règles drastiques pour les découverts