La Banque centrale européenne (BCE) et les institutions européennes travaillent à créer un euro numérique, version dématérialisée de nos pièces et de nos billets. Que serait exactement ce nouvel instrument de paiement ? A quoi pourrait-il servir ? Qu'apporterait-il ? On tente de répondre à vos questions.

C'est du « 50-50 ». En mars dernier, Erick Lacourrège, le directeur général des moyens de paiement de la Banque de France, donnait une chance sur deux à l'euro numérique de voir le jour. Lancé en 2021 par l'Eurosystème, qui regroupe Banque centrale européenne (BCE) et les banques centrales nationales des États membres de la zone euro, ce projet est encore au stade de la phase préparatoire. Il soulève pourtant déjà une réelle opposition, de la part de citoyens qui craignent que ce nouvel instrument de paiement remplace les billets et les pièces, mais surtout de banques de détail qui y voient un risque d'affaiblissement de leur modèle économique. Il faudra attendre encore un an au moins, jusqu'à l'automne 2025, pour que les institutions européennes tranchent.

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Néanmoins, l'euro numérique pourrait, à moyen terme, devenir une réalité. A quoi cette monnaie numérique pourrait-elle ressembler ? Comment pourrait-elle être dépensée ? Qu'apporterait-elle de plus ? Tentons de répondre à vos questions.

L'euro numérique, qu'est-ce que c'est ?

Aujourd'hui, l'euro, c'est-à-dire la monnaie émise par la Banque centrale européenne (BCE), existe uniquement sous une forme : les pièces et les billets.

L'argent que vous détenez sur votre compte bancaire, lui, n'est pas exactement de même nature. Pour le dire vite, il est « créé » par votre banque. C'est donc elle qui le garantit, pas la BCE. Si votre banque vient, par exemple, à faire défaut, cet argent peut se retrouver inaccessible. Il existe bien un dispositif de garantie des dépôts, incarné en France par la FGDR, mais il n'est pas illimité : 100 000 euros maximum par déposant et par banque.

La garantie des dépôts bancaires : montant, comptes et banques concernées

A l'inverse, l'accès et la valeur des euros en pièces et billets est garantie par la BCE. Cet euro sonnant et trébuchant est d'ailleurs le seul à avoir cours légal. C'est pour cela que, contrairement à la carte bancaire ou au chèque, un commerçant n'a pas le droit de vous refuser un paiement en cash.

Le problème, c'est que l'usage de ces espèces, s'il reste majoritaire dans les paiements du quotidien, a tendance à reculer, au profit d'autres instruments de paiement, et notamment de la carte de paiement. Et pour cause : il est totalement inadapté à l'univers numérique, où se déroule un nombre croissant de transactions. D'où la volonté de la BCE, relayée par la Commission européenne, de créer un euro dématérialisé, adapté à ce nouvel âge, tout en disposant des mêmes caractéristiques que l'euro physique.

C'est une question de souveraineté et de confiance, estime la BCE. « En tant que banque centrale, nous devons nous préparer aux évolutions futures et veiller à ce que la monnaie que nous émettons garde son rôle de point d'ancrage monétaire à l'ère numérique, en nous assurant qu'un euro est un euro, quelle que soit sa forme et où que l'on se trouve. Nous renforçons ainsi la confiance du public en notre monnaie », a résumé Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, dans un discours adressé, le 24 avril 2023, à la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen.

A quoi l'euro numérique pourrait-il ressembler ?

La manière dont cet euro numérique sera utilisable au quotidien, s'il vient à voir le jour, est encore assez floue. Toutefois, un rapport d'étape de la BCE, publié le 24 avril 2023 suite notamment à consultation des citoyens sur leurs attentes, fournit quelques pistes.

Selon toute vraisemblance, ces euros numériques pourront être stockés dans les applications bancaires existantes. Il est, en effet, probable que les banques, et plus généralement les prestataires de services de paiement, aient l'obligation de distribuer, gratuitement, ces euros numériques à leurs usagers, ainsi qu'un ensemble de services de base permettant de les utiliser. La BCE pourrait également proposer son propre portefeuille numérique. Ce qui permettrait aux personnes non (ou mal) bancarisées d'utiliser aussi l'euro numérique.

Quels seraient ses services de base obligatoires ? Probablement, d'abord, les transferts d'argent de personne à personne. Mais aussi, on peut l'imaginer, les paiements en points de vente, y compris en l'absence de connexion à internet, comme l'autorise aujourd'hui l'euro papier. Les paiements en ligne, enfin, puisque c'est tout l'intérêt de ce nouvel euro de pouvoir être utilisé dans le monde numérique.

Les banques, toutefois, seraient encouragées à proposer d'autres services, éventuellement payants s'ils apportent une valeur ajoutée, comme le paiement fractionné, le paiement à la livraison, etc.

Qu'apporterait-il de plus ?

Transférer de l'argent à des proches, payer en ligne ou en magasin : rien que ne puisse déjà faire aujourd'hui quiconque est équipé d'un compte bancaire (98% de la population) et/ou d'une carte de paiement (plus de 76 millions de cartes bancaires CB en circulation fin 2022).

L'euro numérique pourrait cependant apporter quelques plus, par rapport à l'éventail des instruments de paiement aujourd'hui disponibles. Au premier rang, l'universalité. Comme l'explique Fabio Panetta dans le discours déjà cité, « il n'existe actuellement aucun moyen de paiement numérique européen qui soit universellement accepté dans la zone euro. »

Autre sujet d'importance pour la BCE : l'inclusion financière. Avec l'euro numérique, tous les citoyens de l'UE pourraient disposer d'une monnaie digitale facilement utilisable, même s'ils ne sont pas bancarisés.

Un autre atout, enfin, pourrait plaire aux défenseurs des libertés individuelles. Comme sa version physique, l'euro numérique devrait permettre de payer de manière confidentielle, sans laisser de traces, comme c'est le cas avec la carte bancaire ou les portefeuilles numériques. Ce qui, évidemment, poserait quelques défis, en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.