Comment faire accepter des hausses d'impôts au pays du « ras-le-bol fiscal »? La tâche est difficile mais pas impossible pour le Premier ministre Michel Barnier, qui prononce mardi son discours de politique générale, jugent plusieurs spécialistes.

Après sept ans de baisses d'impôts pour les ménages et les entreprises, même certains soutiens d'Emmanuel Macron le concèdent : des hausses d'impôts sont inévitables pour contenir le déficit, qui « risque » de déraper au-delà des 6% du PIB en 2024.

Mais comment convaincre les 75% de Français qui jugent le niveau d'imposition trop élevé en France, selon un sondage publié en janvier par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO)?

D'abord en donnant un sentiment « d'équité fiscale », assure cette instance associée à la Cour des comptes.

Pour la docteure en sciences cognitives et comportementales Mathilde Mus, le discours fiscal tenu par Michel Barnier depuis sa nomination début septembre « permet de venir répondre à ces questions de justice sociale très prégnantes ».

Le Premier ministre promet en effet d'alourdir la fiscalité seulement sur les entreprises et les contribuables les plus riches, tout en épargnant la classe moyenne et « ceux qui sont sur le terrain, qui travaillent, qui produisent », a-t-il récemment affirmé au Journal de Saône-et-Loire.

Avec des prélèvements obligatoires qui représentaient en 2023 plus de 43% du produit intérieur brut (PIB) de la France - un taux supérieur à la moyenne de la zone euro et des pays de l'OCDE, - la marge de manœuvre est de toute façon étroite.

« Si tu y vas, vas-y mollo et vise juste », a lancé dans Le Parisien le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici à l'adresse du gouvernement, en réponse à une question sur l'opportunité de hausses d'impôts pour réduire le déficit public.

Depuis qu'il a théorisé le « ras-le-bol fiscal » des Français en 2013, lorsqu'il était à Bercy, plusieurs épisodes ont prouvé le caractère inflammable des sujets fiscaux : révolte des gilets jaunes déclenchée par un projet de hausse de la taxe carbone, colère des agriculteurs face au rabotage envisagé de leur avantage fiscal sur le gazole non routier...

Pour apaiser la rancœur des contribuables, « c'est crucial de ne pas seulement s'intéresser à qui on va taxer mais (aussi) à quoi l'argent va servir », explique Mathilde Mus.

- « En avoir pour mes impôts » -

« Les citoyens n'aiment pas du tout les scénarios de taxation où ils ne savent pas où l'argent va aller », poursuit-elle.

Selon le baromètre des prélèvements fiscaux et sociaux publié en janvier par le CPO, deux tiers des Français (67%) se déclaraient en 2023 « insatisfaits de l'utilisation faite de l'argent public ».

Or « la satisfaction vis-à-vis de l'utilisation de l'argent public est un des ressorts les plus importants de l'acceptation de l'impôt », insiste le CPO.

L'ex-ministre délégué aux Comptes publics Gabriel Attal avait ainsi lancé au printemps 2023 une campagne intitulée « En avoir pour mes impôts ».

Le but était à la fois d'indiquer plus clairement aux Français quelles politiques sont financées par leurs impôts, et de leur demander lesquelles devraient être soutenues en priorité par les recettes fiscales.

Près de 500.000 Français avaient répondu à une consultation en ligne initiée par le gouvernement et 65% d'entre eux avaient cité la santé comme un poste budgétaire que les impôts devraient financer en priorité (47% pour l'enseignement supérieur et la recherche, 31% pour l'environnement).

De manière générale, le fait d'associer les citoyens aux décisions politiques, notamment fiscales, contribue à ce qu'elles soient mieux acceptées, fait valoir Mathilde Mus, qui cite l'exemple de la Suisse où les citoyens sont très régulièrement amenés à donner leur avis dans le cadre de votations.

Le gouvernement Barnier, pressé par les délais constitutionnels d'examen du budget au Parlement, risque cependant de manquer de temps pour associer réellement les Français à ses décisions fiscales.

Et de pâtir d'une défiance solidement ancrée envers la classe politique.

Dans le consentement à l'impôt, « la confiance politique dans les institutions est cruciale », relève Mathilde Mus.

Or en 2023, à peine un gros tiers des Français disaient avoir une confiance « élevée ou modérément élevée » envers le gouvernement, selon l'OCDE.