Pour une partie ou l'ensemble de leurs économies, des épargnants pouvaient devenir propriétaires de manuscrits de Balzac, Einstein ou Romain Gary, mais la bulle spéculative a fini par s'effondrer : le patron d'Aristophil, société de placements dans des œuvres d'art, et sept personnes seront jugés à Paris pour escroquerie.

Créée en 2003, la société Aristophil proposait à des épargnants de devenir propriétaires - en pleine propriété ou en indivision - de manuscrits, qu'elle pouvait ensuite racheter au bout de 5 ans à un prix majoré de 40% (soit un rendement de 8% par an). Au total, 850 millions d'euros ont été souscrits.

La justice soupçonne en réalité une pyramide de Ponzi, système rendu célèbre par l'affaire Madoff, selon lequel les investissements des « entrants » dans le dispositif financent les intérêts des « sortants ». Après avoir fait naître une bulle spéculative, elle a fait une faillite retentissante en 2016. Un gigantesque processus de ventes aux enchères du fonds s'est étalé de décembre 2017 à fin 2022. Le fonds Aristophil détenait, entre autres, des manuscrits de Louis-Ferdinand Céline ou une lettre écrite à quatre mains par Vincent Van Gogh et Paul Gauguin.

Plus de 4 000 parties civiles

Au total, 18 000 personnes avaient investi dans la société, et plus de 4 000 épargnants se sont constitués parties civiles. La société employait 65 salariés et s'appuyait sur un réseau de 600 à 800 courtiers.

Au terme d'une enquête ouverte en 2014 après un signalement de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), une juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris a ordonné un procès pour Gérard Lhéritier, le président de la société Aristophil, 78 ans, pour escroquerie en bande organisée et pratique commerciale trompeuse notamment, selon une ordonnance de renvoi datée du 12 août et consultée jeudi par l'AFP.

Un professeur de droit, qui conseillait Gérard Lhéritier, un libraire-antiquaire parisien, un notaire, un expert-comptable, et trois conseillers en gestion de patrimoine doivent également comparaitre lors du procès prévu du 8 au 30 septembre 2025.

« Les investisseurs expriment un soulagement » et espèrent « être officiellement reconnus victimes et indemnisés »

« Le procès sera enfin l'occasion de s'interroger non plus sur la viabilité du modèle économique Aristophil, qui me parait être indifférente à la mise en cause pénale de M. Lhéritier, mais bien sur sa seule légalité », a commenté l'avocat de ce dernier, Me Benoît Verger. « Aristophil n'a jamais été en contact direct et personnel avec ses clients, lesquels n'interagissaient qu'avec leur conseiller personnel en gestion de patrimoine », a-t-il pointé.

Pour Me Matthias Pujos, qui représente 13 parties civiles, « les investisseurs expriment un soulagement » et espèrent « être officiellement reconnus victimes et indemnisés » à l'issue du procès.

Jusqu'à 750 000 euros investis

Au cours de l'instruction, l'un des épargnants explique avoir été « séduit par l'assurance d'une plus-value fantastique », d'autres racontent que leur conseiller en gestion de patrimoine leur avait présenté ces contrats de placements comme « l'eldorado », « sans risque ».

Ils sont fonctionnaire de police, responsable de magasin, retraité, comptable ou conseillère en magasin et ont investi 10 000, 40 000 ou même 750 000 euros. Parfois la somme investie représentait « l'ensemble » des économies.

« Le consommateur était dans l'incapacité de vérifier les éléments avancés »

Selon un avis rendu en novembre 2014 par la DGCCRF, « les biens manuscrits ne constituent pas un ensemble homogène » mais « le manuscrit est un objet unique, compliqué à estimer ». Et les clients d'Aristophil n'étaient pas des experts et avaient été « approchés par des professionnels des placements financiers et convaincus de pouvoir réaliser un profit ». « L'ensemble des informations communiquées par la SA Aristophil tendait à les assurer à la fois d'un marché sécurisant et en développement » avec des descriptifs « laissant croire à l'achat d'œuvres d'exception et donc de grand prix ».

Aristophil « ne précisait ni son mode de calcul ni les œuvres retenues » et « le consommateur était dans l'incapacité de vérifier les éléments avancés ». Il n'avait pas non plus « la capacité d'appréhender les risques que comporte (ce) marché ». Un autre libraire spécialisé en livres anciens, Alain Nicolas, placé sous le statut de témoin assisté, ne sera pas jugé, s'est félicité son avocat, Me Sébastien Rideau-Valentini, soulignant « sa mise hors de cause définitive ».