Attention, fiction ! Impossible d'anticiper le visage de l'Assemblée nationale au lendemain du second tour des élections législatives anticipées. Impossible, à ce stade, de se projeter précisément sur une nouvelle évolution du dispositif de départ anticipé pour carrière longue. Mais le sujet est central dans le débat sur les retraites. Ce que l'on sait. Ce qui pourrait changer pour vous. Et une retraite à 60 ans avec 40 ans de cotisation serait-elle si généreuse ?

1 - Qui promet une retraite à 60 ans après 40 ans de travail ?

Partir à la retraite à 60 ans si vous avez commencé à travailler tôt, et que vous avez cotisé pendant 40 ans, soit 160 trimestres cotisés (et non « validés », la nuance n'est pas anodine) ? C'est non pour Renaissance (listes Ensemble, autour de l'actuel Premier ministre Gabriel Attal). C'est oui pour le Rassemblement national de Jordan Bardella. Et c'est, finalement, oui aussi pour le Nouveau Front populaire à en croire les propos du coordinateur de LFI Manuel Bompard la semaine passée sur France 2, l'alliance de gauche promettant un retour à terme à 60 ans mais aussi, selon Manuel Bompard, une durée de cotisation ramenée à 40 ans. Et ce même si ce point n'apparaît pas dans le programme du NFP.

Retraite : quel changement possible pour les carrières longues suite aux législatives 2024 ?

Quand ? Une proposition de loi « avant 2027 » visant à ramener la retraite à 60 ans, côté Nouveau Front populaire. Le calendrier reste flou côté RN pour le « système de retraite progressif » (dixit Jordan Bardella, sur France 2, toujours) censé favorisé ceux qui ont commencé à travailler tôt.

Dans tous les cas, permettre un départ à la retraite plus tôt que la situation d'avant-réforme prendrait du temps. Des promesses bien plus lointaines que l'abrogation de la retraite à 64 ans, complexe à mettre en œuvre mais envisageable à plus court ou moyen terme.

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2 - Carrières longues : qui en profite aujourd'hui ?

« En 2003, la retraite anticipée pour carrière longue a été créée en contrepartie » de l'allongement de la durée de cotisation requise (« réforme Fillon »), rappelle Claude Wagner, de la CFDT-retraités. Une compensation. A l'époque, cela permettait de partir avant 60 ans. Jusqu'en 2023, avant la réforme, avoir commencé à travailler avant 16 ans permettait de partir à 58 ans et avant 20 ans à 60 ans. MAIS attention : il ne suffit pas d'avoir commencé à travailler tôt ! Il faut aussi avoir cotisé suffisamment d'années : 42 ans, soit 168 trimestres.

La retraite anticipée AVANT la réforme
Départ à
60 ans
Départ à
58 ans
Si vous êtes né...Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
20 ans...
Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
16 ans...
De janvier à septembre5 trimestres5 trimestres
D'octobre à décembre4 trimestres4 trimestres

Et si la réforme est pleinement appliquée ? Voici le principe des carrières longues si la réforme des retraites de 2023 est pleinement mise en œuvre. Le principe est le même : avoir commencé tôt... mais aussi avoir cotisé suffisamment longtemps. A terme : 43 ans de travail, soit 172 trimestres.

La retraite anticipée APRÈS la réforme
Départ à
63 ans
Départ à
62 ans
Départ à
60 ans
Départ à
58 ans
Vous êtes né...Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
21 ans...
Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
20 ans...
Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
18 ans...

Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
16 ans...

Entre janvier et septembre5 trimestres5 trimestres5 trimestres5 trimestres
Entre octobre et décembre4 trimestres4 trimestres4 trimestres4 trimestres

Attention : ce tableau fait référence à la situation à terme, plusieurs années après l'entrée en vigueur de la réforme.
Pour les départs anticipés à 62 ans, le passage est progressif de 60 à 62 ans.
Le départ anticipé à 63 ans sera intéressant uniquement pour ceux qui sont nés après 1964 : avant, l'âge légal sera inférieur à 63 ans, donc cette borne sera inutile.

En chiffres. 129 501 départs anticipés en 2022, donc avant la réforme, selon les statistiques de l'Assurance retraite. Et plus de 130 000 départs pour carrière longue avant l'âge légal, chaque année, depuis l'assouplissement de ce dispositif en 2012.

« Attention, il n'y a pas tant que ça de carrières longues »

3 - La mesure profiterait-elle à des millions de Français ?

« Attention, il n'y a pas tant que ça de carrières longues », tempère Marilyn Vilardebo, fondatrice du cabinet de conseil en retraite Origami & Co. « Il faut rappeler les deux conditions fondamentales pour partir plus tôt : borne d'âge ET trimestres cotisés. »

« S'il y a eu du chômage, un passage à l'étranger, des arrêts maladie, etc., ce sont autant de facteurs qui vous empêchent de partir en carrière longue. Des carrières hachées, on en voit tous les jours »

« Les gens oublient toujours ça : s'il y a eu du chômage, un passage à l'étranger, des arrêts maladie, etc., ce sont autant de facteurs qui vous empêchent de partir en carrière longue », poursuit Marilyn Vilardebo. « Des carrières hachées, on en voit tous les jours. »

Hors pensions d'ex invalides ou inaptes au travail, la durée moyenne validée au moment du départ à la retraite est de 162 trimestres, lit-on dans les statistiques de l'Assurance retraite. 40 ans et demi. La règle est bien plus la carrière hachée que la carrière complète. La « validation d'une carrière cotisée complète » exclut « par nature du dispositif les assurés en moins bonne santé, davantage susceptibles d'avoir connu des trous de carrière liés à la maladie ou à l'invalidité », lit-on dans un rapport de Patrick Aubert, de l'Institut des politiques publiques, en février dernier.

Carrières longues : un dispositif plus favorable aux hommes

Statistiquement parlant, ce mécanisme est nettement plus favorable aux hommes qu'aux femmes. En 2022, donc avant la mise en œuvre de la dernière réforme, 90 663 hommes sont partis avant l'âge légal pour carrière longue, contre seulement 38 838 femmes. « Les hommes sont plus nombreux que les femmes à partir à l'âge de 60 ans (15% d'entre eux contre 7% des femmes) notamment car ils sont plus souvent en position de partir au titre des carrières longues », lit-on en outre dans le rapport du Conseil d'orientation des retraites publié en juin 2024.

4 - Cotisé ou validé, quelle différence ? (et pourquoi cette différence change tout pour la carrière longue)

Depuis la réforme des retraites et la nouvelle médiatisation des carrières longues, une foule de témoignages concordent dans la boîte de réception de MoneyVox. Florilège. « J'ai 5 trimestres acquis avant mes 18 ans, nombre de trimestres acquis mais je ne peux pas prétendre à un départ pour carrière longue car je n'ai pas assez cotisé », se plaint Corinne.

« Je ne peux pas prétendre à un départ pour carrière longue car je n'ai pas assez cotisé »

Pour un départ anticipé, il « ne [faut] pas avoir une carrière hachée, (...) chômage ou maladie, ces trimestres dits assimilés en sont exclus partiellement ne permettant pas de bénéficier du statut de carrière longue », témoigne Dédette. « Le calcul des retraites n'est pas juste. J'ai travaillé en tant apprenti à 16 ans. On me parle de trimestres cotisés et validés », râle Fab.

Cotisés ou validés ? Comment compter vos trimestres pour partir à la retraite plus tôt

5 - Quelles seraient les conditions pour un départ anticipé à 60 ans ?

De fait, permettre un départ anticipé pour carrière longue, à 60 ans au bout de 40 ans de travail (160 trimestres cotisés), la promesse du RN, serait évidemment plus favorable qu'aujourd'hui. Mais si vous cochez la condition de début de carrière tôt, il faudrait donc aussi cocher la condition des 168 trimestres réputés cotisés (et non pas « validés » ou assimilés) pour partir à la retraite. En clair, une personne ayant commencé à 17 ans, ayant eu plusieurs périodes de chômage, par exemple, ne partirait pas à 60 ans si elle n'a que 164 trimestres cotisés. Elle devrait attendre un an de plus.

Modifier l'âge légal, en le ramenant à 60 ans, comme le promet (à long terme) le NFP, permettrait à cette même personne de partir dès 60 ans. Mais avec une décote...