Sans chercher à dresser un parallèle entre les oppositions à la majorité présidentielle actuelle, le Nouveau Front populaire tout comme le Rassemblement national comptent abroger la réforme des retraites entrée en vigueur au 1er septembre 2023. Abroger en supprimant le texte en un bloc ? Revenir en arrière sur l'âge seulement ? Quand ? Quid de ceux qui sont déjà partis ? MoneyVox tente de ramener cette promesse aux incidences concrètes, en 5 questions.

1 - Abroger la loi, c'est possible ?

OUI MAIS... Aucun suspense d'un point de vue purement réglementaire et législatif : une loi permet de modifier voire supprimer une loi. Et un décret permet de modifier voire supprimer un décret.

Alors pourquoi un « MAIS » ? Revenir ou abroger la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 - nom officiel du texte portant la réforme des retraites - nécessite de faire voter une autre loi de financement rectificative de la sécurité sociale, en 2024. Il faudra pour cela un gouvernement disposant d'une majorité à l'Assemblée nationale. Et il faudra compter sur le Sénat, même si le dernier mot revient à l'Assemblée en cas d'allers et retours entre les deux hémicycles. Selon le résultat des élections législatives anticipées, l'issue d'une telle navette parlementaire risque de ne pas être immédiate, même si cela reste possible d'ici la fin 2024.

Toutefois, sur le recul de l'âge légal de 62 à 64 ans, c'est un décret qui a fixé le calendrier. Un nouveau décret supprimant ce recul de l'âge légal serait envisageable à court terme. Mais la durée de cotisation (le nombre de trimestres à valider pour le taux plein), « c'est dans la loi », rappelle Claude Wagner, en charge du « guide de la retraite » à la CFDT-Retraités. L'illustration d'un imposant ensemble législatif et réglementaire complexe à détricoter d'un coup.

2 - L'Assurance retraite peut-elle gérer un retour en arrière ?

OUI MAIS... N'espérez pas de réaction de l'Assurance retraite (qui rassemble Cnav et Carsat) sur l'éventualité d'une abrogation de la réforme en cours d'application : le régime général est soumis à une période de réserve pendant les élections.

« Tout dépend sur quoi on veut revenir en arrière », juge Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO chargé des retraites. « On parle pour l'instant de l'âge légal revenant à 62 ans », souligne-t-il, en évoquant les promesses à court terme, et en rappelant que l'application de la réforme n'est « pas encore pleinement aboutie ».

A quel âge puis-je partir à la retraite ? *

Age légal de départ à la retraite **
Nombre de trimestres requis ** --
Âge du taux plein automatique ** 67 ans

* A compter du 1er septembre 2023, l'âge légal de la retraite sera relevé progressivement de trois mois par an pour atteindre 64 ans en 2030, contre 62 ans aujourd'hui.
** Source : projet de réforme des retraites du gouvernement présenté le 10 janvier 2023.

NB : Il s’agit d’un simulateur simplifié qui présente les cas généraux. Pour une simulation personnalisée, rendez-vous sur le simulateur du site info-retraite.

« Dans l'absolu tout est possible », juge Régis Mezzasalma, administrateur de la CGT à la Cnav. Mais, plus concrètement, pour l'Assurance retraite, un nouveau revirement nécessitera « du temps » : « Modifier la règle pour le 1er août, ça mettrait les services des caisses sous tension ». D'autant qu'il faudra connaître les décisions politiques avant de commencer à modifier les « systèmes d'information » informatiques.

« Dans l'absolu tout est possible »

Marylin Vilardebo, présidente fondatrice du cabinet de conseil en retraite Origami & Co, est elle très sceptique sur le retour de l'âge légal à 62 ans : « Tout est possible en théorie. En pratique, non. On a tous les jours des caisses de retraite au bout du fil. Aujourd'hui, déjà, la mise en œuvre de la réforme ne fonctionne pas bien : les dossiers de retraite progressive, par exemple, c'est souvent délicat... Donc revenir en arrière sur cette mécanique déjà complexe à mettre en œuvre, ce serait compliqué et ça créerait beaucoup d'erreurs. Pour moi c'est infaisable ou cela risque de léser les gens qui ne vérifieront rien. »

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3 - Est-ce possible de revenir sur les quelques avantages portés par la réforme ?

TRÈS IMPROBABLE. Surcote des « mères de famille », hausse du minimum contributif, congé parental pris en compte dans vos trimestres, etc. Pour faire compenser le recul de l'âge légal, le gouvernement a agrémenté sa réforme de quelques nouveaux avantages.

Une abrogation signifierait-elle la disparition de ces nouveaux avantages ? « Quand on voit tout ce qui a été modifié, ça me parait impossible d'abroger tout le texte », juge Claude Wagner. « On peut supprimer toute une partie de la loi sans tout abroger, coupe Michel Beaugas, de Force ouvrière. Nous, pour réfléchir aux différentes hypothèses, on va attendre le 8 juillet. »

« Le plus simple et le plus logique ce serait d'acter une date précise à partir de laquelle s'appliqueraient les nouvelles règles »

4 - Serait-il possible d'adapter les dossiers en cours ?

PAS SÛR. « Un départ à la retraite ça se prépare », reconnaît Régis Mezzasalma. Au minimum 4 mois en avance. Plus concrètement 6 à 12 mois en amont. Les actifs ayant déposé récemment un dossier de demande de départ à la retraite se retrouveraient dans l'expectative en cas de retour en arrière. Quelles modifications votre Carsat ou Cnav pourrait-elle accepter ? Uniquement les départs intervenant plus de 4 mois après la publication du décret revoyant le calendrier ? 3 mois ? 1 mois ?

Tout en rappelant son scepticisme sur tout retour à 62 ans, Marylin Vilardebo miserait sur un nouveau calendrier, correctif : « Concrètement, si jamais [le retour à 62 ans] était décidé, le plus simple et le plus logique ce serait d'acter une date précise à partir de laquelle s'appliqueraient les nouvelles règles. »

5 - Une compensation pour ceux qui ont travaillé 1 ou 2 trimestres de plus ?

POSSIBLE MAIS... Quid, alors, de tous ceux qui ont déjà travaillé 1 ou 2 trimestres en plus ? Ou qui ont déjà anticipé un départ reculé de plusieurs mois fin 2024 ? Que faire des perdants d'un tel revirement ? « Historiquement, on ne remet jamais en cause une retraite liquidée quand les règles changent », rappelle Claude Wagner, fin connaisseur de toutes les réformes passées.

Et une surcote sur leur pension pour compenser leur départ retardé ? « La loi n'est pas rétroactive », reconnaît Michel Beaugas, de FO. « De toute façon, ils ont déjà travaillé 3 ou 6 mois de plus. Se poserait une question d'équité de traitement : nous [chez FO], nous serions pour qu'ils aient un petit plus [une surcote, NDLR], par exemple. De toute façon, en cas abrogation, ce retour en arrière pourrait engendrer un coût élevé. »

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