Avec la hausse historique des taux de la BCE, collecter des dépôts est redevenu (très) profitable pour les banques et les établissements de paiement. Pourtant, aucun, à l'exception de Sumeria (ex Lydia), n'a choisi de partager cette manne avec ses clients en rémunérant leur compte courant. Explications.

Sumeria, vous connaissez ? Si ce n'est pas le cas, c'est normal. La nouvelle marque de Lydia Solutions, lancée mercredi 17 mai, est encore toute fraîche. Elle a pourtant réussi à attirer l'attention grâce à une fonctionnalité exclusive : la rémunération, à hauteur de 4% brut (2% à terme) de l'ensemble des dépôts effectués par les clients, y compris sur leur compte courant, celui qu'ils utilisent pour payer et être payés au quotidien. « Sumeria met fin à un tabou bancaire français », annonce Lydia Solutions dans le dossier de presse qui accompagne ce lancement.

Banque en ligne : un compte courant rémunéré à 4%, voici la condition pour en bénéficier

Les dépôts gratuits, une aubaine pour les banques

Tabou ? Le mot n'est sans doute pas trop fort. Depuis le tournant opéré en 2022 par les politiques monétaires des banques centrales du monde entier, collecter des dépôts est redevenu une activité très fructueuse. En plaçant les liquidités de leurs clients à la Banque centrale européenne (BCE), les établissements de crédits français touchent actuellement une rémunération de 4%. Ils peuvent également utiliser cette ressource quasi gratuite pour financer les crédits qu'elles accordent à des taux beaucoup plus élevés qu'il y a deux ans, donc avec une marge nette extrêmement confortable.

Une véritable aubaine, donc. Pourtant, aucune banque de détail n'a choisi de partager cette manne avec les déposants. Ni en rémunérant leur compte courant ; ni d'ailleurs en relevant sensiblement le rendement de leurs livrets bancaires, hors quelques rares exceptions.

Le « ni-ni » a vécu

Ce refus de partager avec les clients la valeur générée par leurs dépôts n'a rien de nouveau. Elle est même historique. Pour la comprendre, il fait remonter à la fin des années 1960. A cette époque où les salaires sont encore souvent versés et dépensés en liquide, le pouvoir gaulliste veut accélérer la bancarisation de la population française et faire entrer leur argent dans les circuits financiers. L'ouverture de guichets bancaires est facilitée, les salaires sont progressivement mensualisés et payés par virement.

Pour encourager les Français à ouvrir un compte, l'exécutif demande aussi aux banques de ne pas faire payer les services de base, notamment la tenue de compte et le chèque, dont la facturation est d'ailleurs interdite par loi. En échange, la rémunération des comptes courants est également interdite, permettant aux banques de tirer profit de cette source gratuite de liquidités. Tout le monde y trouve son compte.

« La banque est toujours perçue comme un service public »

Cinquante ans plus tard, ce contrat tacite, pourtant, a vécu, et plutôt aux dépens des usagers. S'ils restent attachés à la gratuité du chèque, ce dernier ne représente plus, fin 2022, que 3% de leurs paiements (hors espèces), supplanté par la carte bancaire qui, elle, est payante. Quant à la tenue de compte, elle est désormais très largement facturée (par 9 banques sur 10 environ) et de plus en plus chère : près de 30 euros par an, en moyenne, au 17 mai 2024, contre 7 euros il y a une dizaine d'années.

Rien, par ailleurs, ne s'oppose plus à une rémunération des comptes courants. Son interdiction a été abrogée depuis 2007, sous la pression de la justice européenne.

Une opportunité non saisie

Avec la forte remontée des taux, il y avait donc une opportunité à saisir. « Une banque de détail qui aurait envie de dynamiser sa collecte de dépôts pourrait être tentée de rémunérer les comptes courants. C'est une proposition de valeur puissante, car très simple à expliquer », analyse Marc Tempelman, co-fondateur de l'application Cashbee. Dans les années 2000, quelques enseignes avaient d'ailleurs tenté le coup, dont un mastodonte, la Caisse d'Epargne. Mais aucun autre grand réseau n'a suivi le mouvement et l'Ecureuil a fini par renoncer lorsque les taux se sont écroulés, à la suite de la crise financière de 2007.

Ce précédent a-t-il pu freiner certaines ardeurs ? Certainement. Pour Marc Tempelman, le jeu n'en vaut pas la chandelle. « Si une grande banque de réseau venait à le faire, elle aurait effectivement une chance de capter plus de dépôts, aux dépens des autres. Toutes, sans doute, devraient suivre et l'avantage compétitif serait de courte durée », analyse le porte-parole de Cashbee. « En revanche, cela aurait pour conséquence de renchérir le coût de leur financement. De façon massive, car ce taux va, à la fois, s'appliquer aux nouveaux dépôts, et au stock. A quoi bon se tirer une balle dans le pied pour un avantage compétitif qui ne durerait que quelques semaines ou même quelques mois... »

Sumeria, évidemment, n'a pas ce souci. Dans l'immédiat, son stock de dépôts est encore limité. Son modèle économique, par ailleurs, est centré presqu'uniquement sur les activités de dépôt et de paiements. Le crédit, lui, ne viendra que plus tard : Lydia Solutions, en effet, a l'ambition de faire de Sumeria une banque à part entière à horizon 3 ans.

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