Rapporteure d’une proposition de loi visant à réformer la fiscalité des successions et donations, la députée socialiste Christine Pirès Beaune explique à MoneyVox pourquoi elle a choisi de présenter ce texte jeudi à l'Assemblée nationale. Il propose notamment de supprimer l’avantage fiscal de l’assurance vie en cas de décès.

Christine Pirès Beaune, députée du Puy-de-Dôme

Christine Pirès Beaune est députée du Puy-de-Dôme et membre de la commission des finances de l'Assemblée

Christine Pirès Beaune, qu’est-ce qui, dans le contexte actuel, vous a encouragé à présenter cette proposition de loi de réforme de la fiscalité des droits de succession et de donation ?

Christine Pirès Beaune : « Plusieurs travaux récents d’économistes - ceux de Thomas Piketty (1) et de Nicolas Frémeaux (2) notamment - ont montré que l’héritage pèse de plus en plus lourd dans l’hyper-concentration des richesses. Ce texte propose une voie pour freiner ce moteur de la montée des inégalités. Cela correspond également à une intime conviction : le mérite doit payer plus que la rente. Comme l’a écrit Beaumarchais dans Les Noces de Figaro : « Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. »

Vous vous attaquez ici à un sujet très sensible…

Christine Pirès Beaune : « Effectivement, et c’est un paradoxe, la fiscalité sur les successions est sans doute l’impôt le plus impopulaire, alors que c’est celui qui concerne le moins de monde. 65% des successions ne donnent lieu à aucune imposition ! Sur les 35% restants, qui intègrent pourtant des familles très aisées, le taux moyen de prélèvement est de 3%, grâce aux divers abattements, exonérations et niches dont elles bénéficient. Mon but est donc de poser la question : pourquoi croit-on payer beaucoup ? Cela tient, je pense, à la complexité du système existant. »

Que proposez-vous ?

Christine Pirès Beaune : « De mettre en place une fiscalité compréhensible par tout le monde, en supprimant les niches et les exemptions. Chaque personne aura le droit de recevoir, au cours de sa vie, jusqu’à 300 000 euros sans payer d’impôts. Cela quel que soit le lien de parenté avec le donateur, et la nature de la succession ou de la donation : en argent, en immobilier, en assurance vie… Au-delà de cette franchise, je propose ensuite de mettre en place un barème simple et progressif, en 3 tranches. »

La proposition de loi en trois points

Présentée par le groupe Socialistes et apparentés de l’Assemblée nationale, dans le cadre de la niche parlementaire - une journée par mois où l’opposition est maîtresse de l’ordre de jour et peut donner de la visibilité à ses textes -, la proposition de loi visant à réformer la fiscalité des droits de succession et de donation comporte trois mesures phares.

  • Une franchise d’impôts de 300 000 euros pour tous les héritiers ou les bénéficiaires de donations, avec un « rappel fiscal à vie » : au-delà de ces montants, l’impôt est calculé en incluant toutes les donations et successions qui ont été reçues au cours de la vie du bénéficiaire.
  • Un barème simplifié et applicable quel que soit le lien de parenté, sans toucher à la réserve héréditaire. Trois tranches : 30% de 300 000 à 1,1 million d’euros ; 45% entre 1,1 et 1,9 million d’euros ; 60% au-delà de 1,9 million d’euros.
  • Une suppression de l'avantage fiscal de l'assurance vie : les capitaux transmis par ce biais seront soumis au barème ci-dessus. Lire sur le sujet : Vers une remise en cause de l'exception fiscale de l'assurance vie ?

Lire aussi : La fiscalité de l’assurance vie en cas de décès

Pourquoi vous attaquer à l’assurance vie, là encore un sujet très sensible en France ?

Christine Pirès Beaune : « Parce qu’il s’agit d’une niche fiscale. Conçue à l’origine pour épargner en vue de sa retraite, l’assurance vie est devenue un outil d’optimisation fiscale pour les plus hauts patrimoines. Je propose d’aligner sa fiscalité sur le droit commun pour ce qui est de la transmission successorale, ce qui ne pénalisera pas ceux qui l’utilisent pour leur retraite. »

Que répondez-vous à l’Afer, la première association d’épargnants en France, qui accuse votre texte, entre autres, d’être un appel à la délocalisation des grosses fortunes, de présenter un risque pour le financement de l’économie et, finalement, de signer la mort de l’assurance vie ?

Christine Pirès Beaune : « C’est tout simplement faux. Les exemples de la Suisse ou des Etats-Unis le montrent : dans ces deux pays, la fiscalité successorale varie, parfois énormément, d’un canton ou d’un Etat à l’autre, sans qu’il y ait de migrations internes massives de capitaux. L’exil fiscal sur les droits de succession est trop complexe et incertain : on ne sait pas, après tout, quand on va mourir… Quant au financement de l’économie, il faut rappeler que 80% de l’argent des assurances vie est aujourd’hui placé sur des fonds en euros, qui n’apportent rien aux entreprises. Les 20% restants ne financent pas uniquement l’économie française, loin de là. Le gouvernement l’a d’ailleurs bien compris, en créant de nouveaux produits dédiés au financement de l’économie. »

Avez-vous l’espoir de voir votre texte être présenté en séance publique (3) ?

Christine Pirès Beaune : « Ce serait une très bonne surprise, mais j’en doute, vu la position qu’il occupe dans l’ordre du jour. Il aura toutefois permis de mettre le sujet des droits de succession sur la table, et de commencer à déconstruire le mythe entretenu par quelques familles fortunées : il est faux de dire qu’on paie beaucoup d’impôts sur l’héritage en France. »

(1) Economiste, directeur d'études à l’École des hautes études en sciences sociales et auteur, notamment, de « Le Capital au XXIe siècle » (Editions du Seuil, 2013). (2) Economiste, maître de conférences en économie à l’Université de Paris 2 et auteur de « Les nouveaux héritiers » (Editions du Seuil, 2018). (3) Il figure à l'ordre du jour de la séance du jeudi 18 février.