Le secteur du financement participatif s'essouffle, selon les derniers chiffres publiés par Forvis Mazars et France FinTech. La collecte de fonds a baissé de 25% entre le premier semestre 2023 et 2024. En parallèle, des plateformes sont en sursis et d'autres ferment définitivement.

L'euphorie des débuts est-elle retombée ? Arrivé en 2009 en France, le crowdfunding traverse une crise. La Banque Postale a annoncé, le 27 septembre, entamer une « réflexion » autour de sa filiale de financement participatif KissKissBankBank.

Fondée en 2009, la plateforme est entrée dans le giron du groupe bancaire en juin 2017, avec deux autres (Hellomerci et Lendopolis, appartenant au groupe KissKissBankBank & Co). KissKissBankBank revendiquait, en début d'année dernière, plus de 27 000 projets financés « grâce à 2,73 millions de citoyens ».

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Un contexte économique délicat

October annonçait, de son côté, « une étape majeure » en février 2024. Le spécialiste des prêts aux PME-TPE a très fortement réduit « le nombre de projets proposés sur la plateforme », expliquait-t-il sur son blog. « Avec cette réduction du nombre de projets, la gestion des prêts en cours ainsi que le recouvrement (...) restent notre priorité absolue. »

« Les attentes des investisseurs ont beaucoup augmenté, mais les moyens de remboursement des TPE-PME ne suivent pas. »

Avec des taux de crédits proches des 1% pendant longtemps (entre fin 2016 et le milieu d'année 2022), les créateurs de projets se sont plutôt tournés vers les banques et non vers les plateformes de crowdfunding. « Dans le contexte économique et de taux actuel, il nous est très difficile de maintenir un volume d'origination suffisant pour être financièrement à l'équilibre. Les attentes des investisseurs ont beaucoup augmenté, mais les moyens de remboursement des TPE-PME ne suivent pas », constate October.

Une chute des fonds collectés

Le secteur traverse une mauvaise passe, comme en témoignent les derniers chiffres de Forvis Mazars et France FinTech, publiés mi-septembre. Au premier semestre 2024, 830 millions d'euros ont été collectés en crowdfunding, contre 1,106 milliard d'euros au premier semestre de l'année précédente, soit un repli de 24,9%. « Le crowdfunding n'échappe pas aux réalités économiques », nous confirme Bertrand Desportes, associé chez Forvis Mazars. « Il y a une crise immobilière d'une ampleur inédite, qui affecte donc logiquement le crowdfunding immobilier. »

Cette crise pèse sur le financement participatif, l'immobilier représentant la majeure partie des investissements. Pas moins de 459 millions d'euros de fonds ont été collectés au premier semestre 2024 (55% des investissements).

En 2024, l'ensemble des fonds récoltés ne devrait pas dépasser les deux milliards d'euros, « un seuil symbolique franchi au cours des deux dernières années ».

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uTip, Zeste... Ces plateformes ont disparu

Ces résultats en berne viennent s'ajouter à une série de fermetures. Si KissKissBankBank et October n'ont pas mis la clé sous la porte, d'autres plateformes sont déjà tombées au champ de bataille, comme uTip. Le spécialiste du financement participatif français a cessé son activité début avril 2023. En cause, son « prestataire de paiement Mangopay (qui) a décidé de mettre fin à notre contrat », a-t-il expliqué dans une série de tweets publiée sur X (ex-Twitter).

Zeste a aussi baissé le rideau. « Nous devons arrêter notre plateforme mais nous n'arrêterons pas de vous présenter d'autres visions de l'argent et d'autres manières de soutenir les projets innovants et durables », annonçait-elle dans un message sur son site. « Aujourd'hui, les exigences réglementaires et les conditions de nos partenaires ne sont plus compatibles. »

De nouvelles règles en 2022

Un nouveau cadre légal, mis en place en 2022 pour se mettre en conformité avec le règlement européen, n'est pas étranger à la fermeture de certains sites.

Les intermédiaires en financement participatif doivent désormais mettre à la disposition des parties un contrat type, « lorsqu'ils présentent sur leur site internet des offres de financement par dons prenant la forme d'une collecte ouverte au public », stipule l'article 13 du décret modernisant le cadre applicable au crowdfunding. « Ce sont des choses lourdes à mettre en place pour des petites plateformes », constate Florence de Maupeou, directrice générale adjointe chargée du financement participatif de France FinTech.

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Des investisseurs prudents

De l'autre côté, les investisseurs sont devenus plus exigeants et vigilants. « Ils regardent davantage les paramètres financiers et extra financiers de chaque projet (ratios financiers, garanties contractées, taux de pré-commercialisation, emplacement géographique...), détaille Bertrand Desportes. La communauté des investisseurs est progressivement montée en compétence sur le sujet du crowdfunding avec le recul de quelques années déjà. »

« On reste optimiste à moyen terme et nous projetons plutôt une dynamique à la hausse, à compter de 2025 »

Car, au bout, le risque de perdre sa mise est possible. Même si le porteur de projet « rembourse partiellement et, avec la mise en œuvre des garanties, il y a un taux de recouvrement qui peut atteindre des niveaux élevés (60%, 70%, 80% par exemple) », poursuit le spécialiste.

Un retour de la dynamique en 2025 ou 2026 ?

Le tableau n'est pas totalement sombre. « Les projets mis en ligne en 2023 ou 2024 ont été analysés avec des paramètres plus exigeants (contexte de crise intégré dans les modèles...) », précise Bertrand Desportes. À terme, « une fois le stock ancien (mis en ligne entre 2020 et 2022) apuré, le secteur devrait sortir de l'ornière ».

De quoi voir le verre à moitié plein ? « Si le secteur traverse en ce moment de sérieuses turbulences, on reste optimiste à moyen terme et nous projetons plutôt une dynamique à la hausse, à compter de 2025 », anticipe Bertrand Desportes. Florence de Maupeou reste plus prudente et rappelle que la situation dépend des politiques publiques. « On sort d'une période d'incertitudes économiques et financières, poursuit-elle. La situation devrait s'améliorer fin 2025, avec le secteur des énergies renouvelables (15% des investissements au premier semestre 2024) qui poursuit sa progression. On pourrait connaître une hausse plutôt en 2026. »