La France doit consentir des efforts bien plus « importants » que ceux engagés jusqu'ici pour tenter d'assainir des comptes publics déjà fortement dégradés, soulignent ce mardi des économistes en prévenant de la difficulté de la manœuvre.

La croissance de l'économie française résiste en 2024, l'inflation se normalise, le coût du crédit se relâche légèrement, mais les finances publiques risquent de s'enfoncer davantage dans le rouge malgré l'annonce par le gouvernement démissionnaire de 25 milliards d'euros d'économies cette année - dont seuls 10 milliards ont été concrétisés.

Si aucune mesure supplémentaire n'est prise pour contenir le déficit public, déjà supérieur à la limite européenne de 3%, celui-ci pourrait déraper à 5,6% du PIB cette année, voire 6,2% en 2025 (contre 5,1% et 4,1% prévus actuellement) en raison de l'envolée inattendue des dépenses des collectivités et de recettes fiscales décevantes, selon des documents budgétaires transmis lundi par Bercy à des parlementaires.

En 2023 déjà, la faiblesse des recettes avait alourdi le déficit à 5,5% du PIB, au-dessus de l'objectif de 4,9% du gouvernement, ce qui a valu à la France des remontrances de Bruxelles. Comme d'autres mauvais élèves tels que l'Italie ou la Belgique, elle est visée depuis juillet par une procédure de déficit excessif de la Commission européenne.

- « Garder la confiance des marchés » -

« Aujourd'hui, les mesures budgétaires sont insuffisantes », estime Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il souligne auprès de l'AFP qu'aux mauvaises surprises sur les recettes et les dépenses s'ajoute l'incertitude politique qui empêche le déploiement de nouvelles décisions.

« C'est le signe que l'on ne fait pas beaucoup d'économies sur les dépenses publiques », abonde François Ecalle, président du site spécialisé Fipeco. Alors que le ministre des Finances Bruno Le Maire, en fonction depuis sept ans, prône à l'envi l'orthodoxie budgétaire après les dispendieuses crises sanitaire et inflationniste, les objectifs de réduction des dépenses sont « très difficiles à respecter pour des raisons politiques et sociales », ajoute-t-il.

Faut-il tailler davantage dans les dépenses comme le souhaite l'exécutif sortant ? Accroître les recettes fiscales comme le prône la gauche ? Quelles que soient les mesures préconisées par le prochain gouvernement, dont la mise en place se fait attendre après les élections législatives, des efforts plus conséquents apparaissent inévitables.

« Plus on tarde à prendre des mesures pour consolider les finances publiques, plus le problème s'aggrave », prévient Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management.

« Pour garder la confiance des marchés financiers, il faut une stabilisation urgente (des finances publiques). Les différents courants politiques s'opposent sur la manière d'y parvenir. En tout cas, il faut faire quelque chose », sinon « les efforts à faire, en matière de dépenses, de recettes ou une combinaison des deux, seront toujours plus importants », relève-t-il.

- « Mesures sorties du budget » -

Pour l'heure, la défiance envers la France n'est pas de mise sur les marchés financiers, qui restent très demandeurs de la dette française.

Mais « il ne faut pas trop tirer sur l'élastique car (...) les marchés peuvent perdre confiance du jour au lendemain », avertit Eric Dor. « S'ils augmentaient le taux d'intérêt exigé sur les emprunts publics, cela alourdirait la charge de la dette, qui mange déjà une partie importante du budget de l'Etat au détriment de dépenses plus utiles » en matière sociale, de transition énergétique ou de défense.

Plutôt que « des mesures (d'économies) sorties du chapeau, pas très documentées », Mathieu Plane juge qu'un véritable redressement des finances publiques implique de définir « une stratégie de moyen terme ».

« Il faudra trouver des montants significatifs, faire des efforts importants » tout en veillant à « limiter les effets négatifs sur la croissance, l'emploi ou le pouvoir d'achat. Il faut une réflexion de fond là-dessus qu'on n'a pas eue beaucoup, si ce n'est des trajectoires dans des tableaux Excel », note-il.

Si de tels efforts accrus étaient engagés, suffiraient-ils pour permettre d'un jour voir passer les comptes français dans le vert ? « C'est utopique », tranche François Ecalle. « Ramener le déficit public au-dessous de 3% sera difficile, alors revenir à zéro, je pense qu'on y arrivera jamais. Quel que soit le gouvernement. »