Comment taxer les grandes fortunes françaises sans les faire fuir ni enfreindre la Constitution ? Le centre de réflexion Terra Nova a présenté vendredi un plan « agressif mais réaliste » qui pourrait selon lui rapporter chaque année à l'Etat 10 à 15 milliards d'euros s'il était appliqué.

Longue d'une quarantaine de pages, la note du centre de réflexion Terra Nova est publiée alors que le nouveau Premier ministre Michel Barnier, sur le point d'annoncer la composition de son gouvernement, s'est dit ouvert à une plus grande « justice fiscale ».

Classé à gauche, le think tank écarte aussi bien les propositions du Nouveau Front populaire (NFP) que celles du camp présidentiel en matière de taxation des grandes fortunes. Le rendement attendu de la taxation sur les rachats d'action envisagée par Emmanuel Macron, évalué à « environ 300 millions d'euros, suffit à démontrer le caractère cosmétique » de la mesure, tranche la note.

L'effort d'économies auquel la France doit s'atteler pour stabiliser son endettement est en effet « de l'ordre d'une centaine de milliards d'euros », rappellent les auteurs de la note. Quant aux mesures fiscales du NFP sur les grandes fortunes, elles seraient très probablement bloquées par le Conseil constitutionnel car jugées « confiscatoires », estime Terra Nova.

Les auteurs préconisent plutôt de s'intéresser aux niches fiscales voire de rétablir l'impôt sur la fortune (ISF), remplacé depuis 2018 par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Concernant les niches fiscales, la note suggère de se concentrer sur « quelques régimes particuliers » qui bénéficient en priorité aux plus fortunés, pour dégager des économies annuelles de 3 milliards d'euros.

Supprimer le crédit d'impôt pour les salariés à domicile ?

C'est par exemple le cas du crédit d'impôt pour les salariés à domicile, au coût annuel de 6 milliards d'euros pour les finances publiques, « dont la moitié pour les 20% les plus aisés ». Les auteurs jugent également que les avantages fiscaux « au titre de la location meublée » ou « sur la transmission d'entreprises » (pacte Dutreil) devraient être rabotés.

Ils plaident pour que les 1% de Français les plus riches paient à nouveau un ISF, qui ne s'appliquerait cependant pas à leurs actifs professionnels. Pour les 0,1% les plus fortunés, un impôt distinct et à taux très réduit (0,3%) serait appliqué à leur patrimoine (biens professionnels compris). Combinées, ces deux mesures permettraient de générer 5 à 6 milliards d'euros de recettes fiscales annuelles supplémentaires pour l'Etat, selon Terra Nova.

Jusqu'à 4 milliards d'euros supplémentaires pourraient être encaissés chaque année en retouchant le régime d'imposition des plus-values. Enfin, les auteurs proposent de rehausser le taux d'imposition marginal (maximal) des contribuables les plus riches, pour le rapprocher du plafond autorisé par la Constitution (environ 65%).

Fixé aujourd'hui à plus de 55% en France, ce taux plafond d'imposition des revenus est déjà significativement plus élevé en France qu'en Belgique (46%), en Allemagne (47,5%) ou en Espagne (53,1%). « Il convient de ne pas trop accroître l'écart avec les pays voisins », sous peine de voir certains contribuables fortunés s'expatrier, avertissent donc les auteurs.

Au total, des recettes fiscales additionnelles « de l'ordre de 2 milliards d'euros » par an au maximum pourraient être obtenues en jouant sur ce levier, anticipent-ils. « Ce plan agressif mais relativement réaliste se place à dessein +à la limite+ (...) de la jurisprudence constitutionnelle », peut-on lire en conclusion de la note.

« Le train de mesures proposé pourrait ainsi dégager un rendement de l'ordre de quinze milliards d'euros en rythme de croisière, dont près d'une dizaine à court terme », est-il encore précisé. Quel qu'en soit l'usage qu'en fera éventuellement le futur ministre des Finances, la note est plus un « point de départ pour la réflexion » qu'un « programme fiscal prêt à l'emploi », insistent ses auteurs.

Coauteur des travaux publiés par Terra Nova, le professeur associé à l'ENS Guillaume Hannezo souligne auprès de l'AFP qu'en matière fiscale, « faire un arbitrage dans la journée conduit à faire des choses qui n'ont pas forcément beaucoup d'effet ou ont un effet d'affichage ».