Le gouvernement a annoncé un report de 6 mois de l'indexation des retraites sur l'inflation. Mais au-delà du report, cette annonce ne cacherait-elle pas aussi une revalorisation revue à la baisse ? Le taux de 1,8% affiché partout est-il fiable... et conforme à ce qui aurait dû être appliqué pour janvier 2025 ?

Ce que le gouvernement a annoncé

« Je demande un effort à tout le monde (...). Et je pense que celui-ci est juste et proportionné, même si je sais qu'il est difficile. » Michel Barnier, nouveau Premier ministre, sur France 2 jeudi 3 octobre. Une déclaration faisant suite à l'annonce la veille par Bercy du report de 6 mois de l'indexation des retraites sur l'inflation. Une annonce évidemment soumise à l'approbation du Parlement via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025.

« Il n'y aura pas de désindexation. [La revalorisation] sera effectivement au 1er juillet au lieu du 1er janvier »

« Effectivement, il va y avoir un décalage de 6 mois mais il y aura une indexation des retraites sur l'inflation en 2025 », avait déclaré plus tôt jeudi, le ministre chargé des Comptes publics Laurent Saint-Martin, avant d'ajouter : « Il n'y aura pas de désindexation. Elle [l'indexation] sera effectivement au 1er juillet au lieu du 1er janvier. »

Comment sont calculées les revalorisations annuelles ?

« La revalorisation annuelle des montants de prestations (...) est effectuée sur la base d'un coefficient égal à l'évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac, calculée sur les douze derniers indices mensuels de ces prix publiés par [l'Insee] l'avant-dernier mois qui précède la date de revalorisation des prestations concernées. » Article L161-25 du Code de la Sécurité sociale.

Les dernières hausses des régimes de base
Quand ?Augmentation de...
Janvier 20200,3% à 1% selon le niveau de pension
Janvier 20210,4%
Janvier 20221,1%
Juillet 20224% (hausse exceptionnelle anticipée)
Janvier 20230,8%
Janvier 20245,3%
Juillet 20251,8% (première estimation livrée par Bercy)

Les dernières hausses des régimes de base, et en particulier celle qui a été présentée comme très généreuse, de 5,3% en janvier 2024, sont uniquement l'application de cette formule réglementaire. L'inflation de novembre 2022 à octobre 2023 ayant atteint des sommets, avec un pic à 6,3% rappelons-le en février 2023, les retraites ont progressé de 5,3% de façon automatique et mathématique, même si cette augmentation est intervenue au moment où l'inflation commençait à fléchir. Zéro coup de pouce.

Ce qui était attendu pour janvier 2025

« Rappelons en effet que depuis janvier 2017, les pensions n'ont augmenté que de 13,6% pour une inflation de 19,5% », pointent neuf syndicats (unions de retraités au sein de la CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, FSU, Solidaires, etc.). Comment est-ce possible ? Via des décisions politiques, déjà, par exemple avec une revalorisation différenciée selon le niveau de vie en 2020. Ou via des reports, qui ont déjà été appliqués en 2009 (de janvier à avril) puis en 2014 (d'avril à octobre) et en 2017 (d'octobre à janvier). Mais aussi car la formule de calcul de la revalorisation annuelle induit, mathématiquement, un retard sur l'inflation. C'est par exemple la raison pour laquelle il avait fallu avancer la hausse de 4% à juillet en 2022 au moment de l'envolée de l'inflation.

Maintenant que l'inflation baisse, la formule de calcul automatique est plus favorable. Sans ce report, selon nos calculs, en nous basant sur les prévisions de l'Insee pour les derniers mois de l'année 2024, la moyenne de l'inflation mensuelle de novembre 2023 à octobre 2024 aurait dû conduire à une revalorisation des retraites de base de 2,4% au 1er janvier 2025. Une estimation qui colle avec les dernières prévisions de la commission des comptes de la Sécurité sociale, qui tablait sur une hausse de 2,6% en janvier : depuis l'inflation a ralenti, ce qui explique que la revalorisation potentielle soit tombée à 2,4%.

À quoi correspond ce « 1,8% » évoqué partout pour 2025 ?

Les retraités n'auront donc « que » 1,8% en juillet prochain au lieu de 2,4% dès janvier 2025 ? Peut-être...

« La méthode de calcul ne changera pas »

Mais d'ailleurs, pourquoi ce pourcentage de 1,8% a-t-il été repris dans tous les médias ? Car il s'agit de la première estimation de l'inflation annuelle 2025 (les prix en 2025 par rapport à 2024) livrée par Bercy. Mais pourquoi l'inflation annuelle ? Y aurait-il un changement de la méthode de calcul ? Non, il s'agit uniquement d'un ordre d'idées, a confirmé Bercy à MoneyVox, « la méthode de calcul ne changera pas ».

Autrement dit, la revalorisation sera calculée sur la base de l'inflation mensuelle sur douze mois, sur les indices d'avril 2024 à mai 2025. Combien cela pourrait-il donner ? Difficile à dire. Mais à la vue de l'inflation actuelle, de 1,2% pour le mois de septembre 2024 selon la première estimation de l'Insee, la revalorisation issue de cette formule de calcul pourrait être inférieure à 1,8%. Et donc nettement inférieure aux 2,4% qui auraient dû être appliqués en janvier 2025, mécaniquement, en l'absence de report.

Taux d'inflation annuel
AnnéeTaux d'inflation
20251,8% (première estimation de Bercy)
20242,1% (estimation Insee)
20234,9%
20225,2%
20211,6%
20200,5%

Inflation annuelle (d'une année par rapport à la précédente) - Insee

Une alternative au report à l'étude ?

Sitôt annoncé, ce report est fortement critiqué et le RN (par la voix de Marine Le Pen) tout comme les LR (par la voix de Laurent Wauquiez) ont annoncé qu'ils s'opposeraient à ce report. Une annonce qui, de fait, rend l'adoption de cette mesure peu probable à l'Assemblée nationale.

« Je comprends que cette mesure, que nous avons mise dans le budget, une réévaluation qui aura lieu en 2025 de toute façon, (...) provoque et crée des préoccupations, notamment pour tant de gens qui ont des petites retraites », a admis le Premier ministre Michel Barnier en marge du Sommet de l'élevage à Cournon-d'Auvergne, vendredi 4 octobre. « Je suis ouvert à ce qu'on trouve d'autres solutions dans la discussion parlementaire ».