Depuis les élections législatives, les milieux économiques alertent sur l'impact qu'auraient certaines mesures sociales promises par la gauche si elle devait gouverner, sur les finances publiques, notamment l'abrogation de la réforme des retraites de 2023. Quel serait son coût et comment la financer ?

Abrogation : 14 à 20 milliards

L'Institut Montaigne, think-thank libéral, a estimé le coût de différentes mesures promises par le Nouveau Front populaire (NFP). L'abrogation des principales dispositions de la réforme (dont la mesure phare relève progressivement l'âge légal de départ de 62 à 64 ans) coûterait 8,2 milliards d'euros par an à l'horizon 2027 selon son scénario « médian », écrit l'Institut sur son site.

Le coût atteindrait 14,1 milliards en 2030, d'après une étude d'impact du gouvernement sur laquelle "s'est appuyée" cette analyse, précise l'Institut à l'AFP. Ces chiffres « n'intègrent pas » une potentielle baisse d'activité et du PIB.

Michaël Zemmour, chercheur au laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques de Sciences Po et proche du NFP, estime de son côté qu'une abrogation, qui conserverait les « mesures sociales » de la réforme, dont le relèvement des petites pensions, coûterait « environ 20 milliards par an à l'horizon 2032 ».

Retraites : quel calendrier en cas de retour de l'âge légal à 62 ans (voire, peut-être, 60 ans) ?

Le coût des mesures complémentaires

Deux autres mesures "d'urgence" sont promises par le NFP : "augmenter le minimum contributif (minima pour une carrière complète) au niveau du Smic" -qu'il veut relever à 1 600 euros- et le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté".

L'Institut Montaigne les chiffre respectivement à 13,9 et 0,7 milliards d'euros par an à l'horizon 2027. La prise en compte du RSA dans les années cotisées, envisagée par le NFP à moyen terme, représenterait 8,4 milliards annuels.

Quel coût pour un (plus hypothétique) retour aux "60 ans" ?

Le NFP se donne "l´objectif commun" d'une retraite à 60 ans et promet "une grande conférence" sociale pour en déterminer les conditions précises.

L'Institut Montaigne a estimé à 58 milliards l'impact d'une telle réforme avec 40 annuités requises (contre 43 dans la loi actuelle), en incluant les mesures complémentaires promises.

Eric Coquerel (LFI), ex-président de la commission des Finances de l'Assemblée, a, lui, estimé qu'un retour à 60 ans coûterait "en gros 50 milliards", et se ferait "progressivement" quand "les conditions économiques le permettront".

« Un signal terrible à l'égard des marchés financiers »

Qu'en pensent les acteurs et observateurs économiques ?

Abroger "serait un signal terrible à l'égard des marchés financiers" et pour "la pérennité" du système de retraites, selon le président du Medef, Patrick Martin. Sans même toucher à la réforme Borne, les comptes du système devraient repasser dans le rouge en 2024 et le déficit avoisiner -0,4 point de PIB en 2030, d'après le Conseil d'orientation des retraites.

« Le système de retraite n'est pas menacé de faillite »

L'agence de notation Moody's a prévenu qu'une abrogation de la réforme, et plus largement de moindres économies budgétaires, pourraient affecter la note de la France. Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a lui qualifié de "folie furieuse" la volonté de la gauche de "redistribuer de l'argent que nous n'avons pas".

"Mais le système de retraite n'est pas menacé de faillite", réagit Michael Zemmour, selon lequel "les dépenses n'explosent pas" et le déficit "est lié au fait que l'Etat a prévu de diminuer son financement".

De nouvelles recettes ?

Le NFP prévoit de nouvelles recettes : "augmenter de 0,25 point par an pendant cinq ans les cotisations sociales", précise l'économiste. En équilibrant à 50-50 l'effort entre salariés et employeurs, "cela représenterait (en 2030) 15-16 euros mensuels pour quelqu'un au salaire moyen", "10-11 euros" pour un Smic (à 1.600 euros nets).

"Cela financerait quasiment intégralement" l'abrogation, assure-t-il, auxquels pourraient s'ajouter d'éventuelles "cotisations sur l'épargne salariale". Les mesures complémentaires du programme nécessiteront elles "d'autres recettes". Le NFP a évoqué diverses possibilités : cotisations sur les dividendes, rachats d'action, intéressement et hauts salaires.

La gauche "propose un changement d'orientation politique", observe l'économiste Nicolas Da Silva (université Paris 13): "augmenter le niveau d'imposition" pour "garantir des droits jugés essentiels".

"Ces dernières années, le cadrage général était de réduire la dépense publique, faire reculer le niveau des droits et services publics, et parallèlement réduire la pression fiscale, donc les ressources, ce qui devait créer beaucoup de croissance", complète l'économiste qui juge que "ça ne marche pas". L'économie française devrait croître de 1,1% en 2024, selon les prévisions de l'Insee.